Maille love : le retour en force du tricot - Elle

01/01/2023 Par acomputer 543 Vues

Maille love : le retour en force du tricot - Elle

Nouveau hobby des fashionistas et technique signature de nombreux jeunes créateurs, le tricot a connu un retour en force à la faveur du confinement. Entre quête du vêtement cocon et conscience écologique, détissage d'une tendance de fond.

ParIlaria Casati,Noémie Leclercq

Pepita Marín s'en souvient encore. Quand elle a lancé We are Knitters avec Alberto Bravo, il y a dix ans, c'est parce qu'elle avait aperçu une fille très stylée tricoter dans le métro de New York. Intuitivement, elle s'est dit qu'il y avait un truc à faire en Europe avec le tricot. Mais pas façon grand-mère sur un fauteuil à bascule au coin du feu. Un tricot pour jeunes, ludique, branché, anti-standardisé et accessible grâce à un kit léché vendu sur Internet. Bien sûr, We are Knitters a été un succès. Bien sûr, Pepita et Alberto ont vu juste. Aujourd'hui, cette société espagnole déclare 18 millions de chiffre d'affaires par an et sa croissance est estimée à 80 % sur l'année 2020. Oui, le confinement a été un accélérateur. Il fallait bien une activité manuelle, peu encombrante et apaisante pour affronter la période. Le réconfort passe aussi par la confection d'un pull doudou. Le cas d'Émilie, 43 ans, en quête d'un loisir, qui s'est mise à tricoter en novembre, lors du deuxième confinement. En cette fin d'automne aux interminables week-ends pluvieux, elle commande des munitions de pelotes sur Internet, s'équipe d'une paire d'aiguilles, télécharge quelques tutoriels sur Pinterest. La voilà lancée. « C'est comme de la méditation. Quand je tricote, je me mets dans une bulle. Le corps se lance et ma tête se vide. Un vrai moment de plaisir », détaille-t-elle. « Medknitation » : confirment les Anglo-Saxons, toujours à l'affût d'une trouvaille lexicale. « Bons pour le cœur et le cerveau »* abondent les revues scientifiques. En parallèle, Émilie enseigne dans une école parisienne. Motivée par une collègue virtuose du tricot, les deux se retrouvent une fois par semaine depuis janvier pour affiner leur pratique. D'autres acolytes les ont rejointes. Au total, elles sont huit à partager ce moment de complicité. « Voir la laine avancer, nouée avec adresse : c'est plein de sens. Sans oublier le pouvoir créatif de cette pratique, qui permet toutes les audaces : des torsades, des broderies, des pompons. On peut faire plein de choses différentes ! » insiste Julie, 45 ans, à l'origine du club.

© Alessandro Lucioni/Imaxtree

L'année 2020 a donné envie aux gens de s'adonner aux plaisirs simples et lents, comme celui de retrouver une activité manuelle oubliée après des années passées devant les écrans. Transformant ainsi le tricot en loisir cool. Femmes et hommes s'y sont mis. Sur Instagram, 443 000 posts comparent cet art au yoga. Tandis que les plus habiles se passionnent pour le « Netknit », soit l'art de conjuguer les aiguilles avec les séries Netflix. Au total, on compte 2,4 millions de publications avec le hashtag #knittingaddict. Le phénomène est visible sur YouTube, où JW Anderson a fait un carton avec son tutoriel permettant de reproduire le cardigan bariolé de Harry Styles. Palpable aussi dans les rues des grandes villes, à en juger par les files d'attente toujours plus longues devant les merceries.

Des valeurs écoresponsables

Mais, plus globalement, le Covid-19 a changé notre rapport à la mode et mis l'attention sur des vêtements cocon, aux matières douces et seconde peau, comme une maison pour le corps. Le mot « cocooning » peut paraître un grand fourre-tout, mais beaucoup d'entre nous connaissent le pouvoir d'un vêtement doudou confortable et capable de mettre à distance le danger. Si la définition n'implique pas spécifiquement les vêtements en maille, ceux-ci sont privilégiés dans les faits. Difficile d'imaginer un blazer quand on pense à un vêtement où l'on se sent bien. Car rien ne remplacera la protection d'un épais cardigan dans lequel se blottir ou d'une maille duveteuse où se calfeutrer. Ni la promesse de douceur d'un jogging en cachemire où rien ne serre, n'entrave, ne contraint. Comme si la chaleur venait de la matière cosy du vêtement. « C'est une tendance qui prend de plus en plus d'ampleur », juge Laure Berny, experte du fil, dont l'entreprise Alain Berny fournit parmi les plus grandes marques de luxe françaises. L'engouement n'est pas nouveau, mais il s'est accéléré ces derniers temps. « Il y a encore cinq ans, la demande de fibres synthétiques dominait le marché. Aujourd'hui, on favorise les fibres certifiées qui respectent la planète et le bien-être animal. Comme la laine vierge ou mérinos. Il n'y a rien de plus naturel, éthique et artisanal que la laine. Elle est même 100 % biodégradable et compostable ! » affirme-t-elle. Mais alors pourquoi un matériau si démocratique et apparemment vertueux a-t-il été délaissé ?

Maille love : le retour en force du tricot - Elle

© Presse

L'histoire de la laine est plus ancienne que celle du tissu. Mais on n'en parle pas car c'était un art du pauvre associé à l'univers de Charles Dickens. « Pendant longtemps, elle s'est résumée aux sous-vêtements et aux petits riens de la vie courante. C'était un artisanat utile pour se protéger. Jamais pour se montrer. Elle n'est sortie de cet imaginaire que vers la fin du XIXe siècle, avec la naissance de la bonneterie. Puis a pris le dessus en accompagnant l'émancipation de la femme grâce aussi au talent visionnaire de Gabrielle Chanel, qui en était fan », pointe Charlotte de Fayet, directrice artistique de Molli, marque spécialisée dans la maille depuis cent trente-cinq ans. Elle observe aussi la montée en puissance de cette matière cocon portée par de jeunes marques, qui en ont fait un manifeste de style. Il y a ceux qui ne jurent que par le cachemire pop et petits prix de From Future. D'autres qui raffolent du shetland sans couture de Harley of Scotland. Au point qu'un pull Falconeri ou un cardigan Notshy sont devenus des basiques, aussi intemporels qu'un T-shirt ou un jean. Et la traque de modèles sur demande, tricotés main par des marques comme Rose Carmine ou Stella Pardo, a des airs de nouveau snobisme. Tout comme la quête de fibres de qualité, aux étiquettes RWS, pour Responsible Wool Standard, qui garantit le bien-être animal, RMS, pour Responsible Mohair Standard, l'équivalent pour le mohair, ou GRS, Global Recycled Standard, pour la laine ou le cachemire recyclés. Longtemps, quand on parlait de tricot, on ne s'intéressait qu'au produit fini, à sa coupe, aux prouesses techniques pour le confectionner, au toucher. Depuis quelques années, le public a compris les enjeux de la production et questionne les différentes étapes de la filière. Cet engouement n'est que justice. Les scandales liés aux conditions d'élevage du lapin angora ou de la chèvre mohair, avec des bêtes gémissant de douleur, ont éprouvé l'opinion publique. Jusqu'à pousser H&M, Gap, Zara ou American Vintage à bannir la laine angora ou mohair de leurs collections.

© Presse

Non seulement il est question de redonner sa juste valeur à cette matière noble, mais acheter un pull labellisé Woolmark, dont le logo en forme de pelote de laine indique qu'il est en laine vierge issue d'animaux sains et vivants, est devenu un geste de résistance. « Privilégier du 100% laine, s'assurer que la fibre est sourcée, avec pour but de s'offrir un vêtement qui dure, explique Adam Jones, directeur du master consacré aux métiers de la maille de l'Institut français de la mode, est une pratique à contre-courant des cycles de la fast fashion. C'est un art, un artisanat pertinent dans un monde où nous sommes de plus en plus nombreux à exprimer notre insatisfaction face aux conséquences de la surproduction du secteur textile. » Cette année n'a fait qu'accélérer cette prise de conscience. Le cachemire recyclé ou la laine vegan ont aussi été plébiscités. « Tricot a été lancé il y a dix-huit mois et, dès le début, nous voulions nous engager d'un point de vue écologique. C'est pourquoi nous avons proposé des cachemires dont la fibre est recyclée à 50 %. S'il pouvait y avoir un a priori sur le recyclé il y a quelques années, nous sommes en train de dépasser ça. Désormais, les consommateurs sont fiers de dire que ce qu'ils portent s'inscrit dans une démarche green », remarque Remi de Laquintane, fondateur du label. Bien qu'encore marginal, ce mouvement se répand avec une forte résonance éthique et écolo. Et toute une philosophie qui favorise le local s'affirme. « 80 % de la laine récoltée en France part en Asie sans que l'on sache sous quelle forme elle revient, rappelle Eric Briones, auteur de “Luxe et résilience” (éd. Dunod). Heureusement, certains acteurs s'activent pour relancer les savoir-faire locaux. À l'instar du collectif Tricolor, qui rassemble des éleveurs, des industriels et des distributeurs, dans le but d'encourager la renaissance des filières lainières françaises », ajoute-t-il. Des marques comme Balzac Paris ou Le Slip Français lancent des modèles 100 % made in France, fabriqués à Arles. Et après des années de fermetures et de délocalisations, certains tricoteurs rouvrent en Mayenne, dans le Tarn et la région lyonnaise. « Une nouvelle génération de designers attachés à ces valeurs écoresponsables est en train de voir le jour. Nous formons près de dix étudiants par promotion sachant exprimer tout le potentiel créatif de cette matière autrefois cantonnée aux pulls basiques et aux accessoires. Car la maille peut représenter jusqu'à 40 % du chiffre d'affaires d'une marque », conclut Adam Jones. Pour preuve, plus que jamais la maille s'est affichée sur les podiums. Et, comme Bottega Veneta, chez les plus influents.

* Etudes du Benson-Henry Institute for Mind-Body Medicine (Massachusetts) et du General Hospital and Harvard Training Hospital.

Fibres vertes

Créer des vêtements dans lesquels on a envie de se lover tout en respectant l'environnement n'est pas tâche aisée pour l'industrie de la mode. Sans même parler de la fourrure, la maille animale n'est pas des plus vertueuses : elle fait d'ailleurs partie des cinq matières dont la production est la plus polluante. Quant aux conditions d'élevage des moutons, des alpagas ou des chèvres (à l'instar des forces de travail humaines), elles varient beaucoup selon le prix final du produit. Pour y remédier, certaines griffes proposent désormais des options écoresponsables. La crème de la crème de la maille, le cachemire, a par exemple trouvé son alter ego végétal : la marque new-yorkaise Apparis, spécialiste des matières doudous et engagée contre la souffrance animale, propose la douceur de cette luxueuse fibre en version vegan. « Ces dernières années, il y a eu une prise de conscience généralisée, atteste Arnaud Brunois, responsable développement durable chez Ecopel, leader sur le marché des substituts à la laine et à la fourrure. Les consommateurs vont privilégier des matières qui ne nécessitent pas de souffrance animale. Surtout chez les jeunes générations, particulièrement sensibles à cette cause. »

L'augmentation de la demande pousse les grands groupes du luxe à trouver des alternatives eco-friendly aux matières traditionnelles qui ne soient pas dérivées du pétrole. Car, d'un point de vue écologique, le synthétique, bien qu'il n'implique pas de tuer ou d'élever des animaux en batterie, n'est pas l'idéal. Le polyester et l'acrylique sont en grande partie responsables de la pollution aux microparticules de plastique des océans : d'après l'ONG Fashion Revolution, qui milite pour une mode plus vertueuse, 92 % des microplastiques trouvés dans les eaux arctiques sont des microfibres issues de l'industrie textile. En 2019, la papesse de la mode vegan Stella McCartney a donc lancé avec Ecopel un manteau en fausse fourrure à base de maïs : une fibre Koba, entièrement recyclable, qui produit jusqu'à 63 % de gaz à effet de serre en moins. C'est un succès. Puis c'est au tour de la créatrice française Vanessa Bruno de faire sensation en proposant l'incontournable de l'hiver 2020-2021, le manteau teddy, dans une version vegan à base de chanvre, aussi chaude et belle que la bouclette animale. Gros bonus : la Cannaba – c'est le nom de cette matière – est produite dans les Vosges.