Patagonia: ceci n’est pas une polaire

14/02/2022 Par acomputer 923 Vues

Patagonia: ceci n’est pas une polaire

C’est la polaire des années 1980 avec un grand P. Une création de la marque américaine Patagonia, datant de 1985, taillée dans du Synchilla, un tissu double face déperlant qui ne bouloche pas, plus léger et séchant plus vite que la laine. Baptisée Snap-T, elle se reconnaît à son col cheminée à boutons-pressions, ses couleurs acides et sa poche à rabat. À l’époque, elle est de toutes les garde-robes dans tous les foyers américains (il faut attendre 1994 pour sa commercialisation en France). Les pères de famille la portent pour le barbecue du dimanche, les mères par-dessus leur justaucorps d’aérobic, les adolescents l’enfilent pour chevaucher leur BMX ou séduire les filles dans les couloirs du lycée. Illico, les adeptes des sports de grimpe et de glisse en font leur uniforme tout terrain. Mais à la fin des années 1990, au même titre que le pantacourt et la banane, la laine polaire est rayée de la carte du cool. La tendance est au minimalisme, au grunge, plus du tout aux motifs aztèques et aux sweat-shirts vitaminés. Sans forme, sans style, d’un goût douteux, elle expose celui qui la porte aux moqueries les plus féroces.

Pourtant, trente-cinq ans après, la Snap-T s’offre une seconde jeunesse, des deux côtés de l’Atlantique. Si son look nostalgique résonne aujourd’hui, ce sont avant tout les valeurs qu’elle représente qui l’érigent en étendard d’une génération. «Quand vous achetez une Snap-T, vous achetez un style et affirmez votre personnalité, explique Aymeric de Rorthays, directeur général du Vieux Campeur, partenaire français de la première heure qui a aidé Patagonia à s’implanter dans l’Hexagone. C’est le produit emblématique qui revendique votre adhésion aux valeurs de Patagonia.»

Yvon Chouinard, l’exemple à suivre

Car le come-back de cette veste tient pour beaucoup à sa griffe. Fondée en 1973 par l’alpiniste Yvon Chouinard, Patagonia fait figure d’exemple dans notre société sensibilisée au développement durable et au réchauffement climatique. Pionnière, elle utilise, par exemple, uniquement du coton bio depuis 1996 ; reverse depuis toujours 10 % de ses profits à des organisations œuvrant en faveur de la sauvegarde de la planète ; envoie ses équipes sillonner les États-Unis afin de réparer ses vêtements usagés ; utilise un maximum de fibres recyclées (la Snap-T est confectionnée en bouteilles de soda depuis 1991) ; pense des produits durables et intemporels ; investit dans l’innovation. Surtout, elle refuse d’être considérée comme une marque de mode puisque par définition, la mode… se démode.

L’entreprise est aussi à l’initiative des teintes flashy dans le monde de l’outdoor - le premier vêtement proposé par Yvon Chouinard, dans les années 1970, était un maillot de rugby confectionné en Grande-Bretagne par Umbro et dans lequel il grimpe à mains nues sur les pics rocheux du grand Ouest américain, influençant dans la foulée toute une génération d’alpinistes. «Patagonia est plus qu’une marque engagée, décrypte Éric Briones, coauteur du livre Le Choc Z (Éd. Dunod). Elle est une marque activiste. Elle parle aux jeunes générations qui militent contre la surconsommation. La mode est un outil politique, le vêtement est un bulletin de vote à découvert. Porter cette polaire revient à afficher ses convictions, ses croyances, son parti, notamment depuis l’élection de Trump. Mais le retour de la Snap-T, elle le doit aussi à son design, son esthétique. Si dans les années 2010, il était tendance d’associer au luxe la fast fashion, de nos jours, on l’associe à l’outdoor.» C’est le courant Gorpcore - baptisé ainsi par le New York Times en 2017 pour Gorp (Good old raisins and peanuts), le classique snack nutritif des randonneurs - adopté par des urbains souhaitant afficher leur amour de la nature et des sports en plein air.

Le «Midtown uniform»

Ironie du sort, le revival soudain de cette veste est venu, en partie, de Wall Street et des jeunes loups de la finance qui, depuis la crise de 2008, paradaient dans les rues de New York dans leur version sans manches. Une mauvaise pub pour Patagonia qui, ne pouvant empêcher ce public de l’acheter, a résilié en avril dernier les contrats de cobranding autorisant les entreprises et les banques à floquer leur logo sur la fameuse polaire devenue le «Midtown uniform». Plus «acceptable» pour la marque, sa clientèle de la Silicon Valley. «Les startuppeurs de Californie ont remis au goût du jour un vestiaire formel, poursuit Frédéric Godart, sociologue et professeur à l’Insead. Il y a eu le sweat à capuche, les baskets de papa à la Steve Jobs, le jean informe et maintenant la laine polaire. Ces gamins de la tech ont accompagné une révolution technologique et se sont retrouvés catapultés à la tête du monde mais pas socialisés dans la culture du luxe. Ils ne recherchaient dans ce blouson qu’un coupe-vent confortable à la brise de la vallée.»

Sans surprise, la Snap-T mais aussi la Retro-X Fleece (réédition à l’identique de la première polaire Patagonia) font l’objet de nombreuses copies sur les podiums du prêt-à-porter et chez les concurrents de l’outdoor ces dernières saisons. Cette surexposition médiatique (Virgil Abloh ne cache pas son admiration pour Yvon Chouinard, Supreme aurait tenté une collaboration…) a tendance à énerver les fans de la première heure. «Au Vieux Campeur, nos clients n’osent pas poser de questions sur Patagonia de peur de passer pour des suiveurs, s’amuse Aymeric de Rorthays. Pour autant, le succès est là, et n’est pas près de disparaître. La liste des points de vente, sélective, et le refus des soldes de la marque aiguisent l’appétit des gens. Si désormais, elle est moins à la pointe de la technicité quand de nombreux concurrents sont plus performants et écolos, elle reste un modèle. On ne peut pas l’accuser de surfer sur la vague de la durabilité, elle est à l’initiative de ce mouvement. Patagonia est devenu une norme.»

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