S'habiller en noir pour se protéger du Soleil

07/04/2022 Par acomputer 724 Vues

S'habiller en noir pour se protéger du Soleil

Comment se vêtir pour se protéger du Soleil ? « En blanc !», pensons-nous, car nous savons que cette couleur absorbe peu le rayonnement solaire. Pourtant, les nomades du désert portent aussi des vêtements noirs. Un vêtement sombre peut-il être aussi confortable sous le Soleil qu’un vêtement clair ? L’examen des divers échanges d’énergies qui entrent en jeu éclaire cette intéressante question.

De la couleur d’une surface dépend la quantité de lumière que celle-ci nous renvoie et, par complémentarité, la quantité de lumière qu’elle absorbe. Plus elle est sombre, plus elle absorbe de lumière, et par là d’énergie lumineuse, qui se transforme en chaleur. Lorsqu’il est haut dans le ciel, le Soleil apporte au voisinage du sol près de 1 000 watts par mètre carré. Un objet de couleur noire absorbera jusqu’à 90 pour cent de cette énergie. On profite d’ailleurs de cette source d’énergie avec les « panneaux solaires », des panneaux noircis où l’on fait circuler de l’eau pour la chauffer à peu de frais. À l’inverse, si l’on souhaite réduire l’échauffement solaire, on utilise la couleur blanche, car elle renvoie presque toute la lumière incidente. C’est pourquoi les murs des habitations des pays ensoleillés sont peints en blanc.

Cette analyse est toutefois loin d’être complète ! Pour établir le véritable bilan énergétique d’un vêtement, il faut aussi prendre en compte la façon dont il perd de l’énergie par rayonnement. Tout corps rayonne d’autant plus qu’il est chaud. Un vêtement à la température du Soleil estival (40 °C) émet par exemple dans l’infrarouge lointain (vers 9 micromètres de longueur d’onde). Or, les bons absorbeurs sont aussi de bons émetteurs. Le noir, qui absorbe beaucoup, émet aussi beaucoup : environ 500 watts par mètre carré pour une surface à température ambiante. Réciproquement, le blanc, qui absorbe moins, émet aussi beaucoup moins que le noir. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’ours arctique est blanc : il a plus intérêt à garder sa chaleur interne en rayonnant peu qu’à absorber le peu de lumière solaire qui lui parvient…

Bilan énergétique

Dans le détail, les propriétés d’un corps vis-à-vis de la lumière visible et du rayonnement infrarouge dépendent non seulement de sa couleur, mais aussi du matériau qui le constitue. Comparons les étoffes noires et blanches utilisées par les Bédouins. L’énergie absorbée par la robe noire d’une personne faisant face au Soleil du désert est de 840 watts par mètre carré, tandis que ses pertes par rayonnement infrarouge sont de 540 watts par mètre carré. Le gain net de 300 watts par mètre carré est le tiers de la puissance absorbée. Une robe blanche absorbe 650 watts par mètre carré : cette valeur élevée est due à ce que le tissu blanc absorbe autant que le tissu noir le rayonnement infrarouge, lequel représente à lui seul la moitié de l’énergie lumineuse solaire qui parvient au sol. De plus, un tissu blanc émet dans l’infrarouge à peu près autant qu’un tissu noir : 530 watts par mètre carré. Au final, chaque mètre carré de tissu blanc absorbe seulement 120 watts, soit presque trois fois moins que le tissu noir. Des chercheurs israéliens ont mesuré les températures de surface de deux robes de Bédouins alors qu’il faisait 38 °C au Soleil et constaté que celle du vêtement clair était de 41 °C alors que celle du vêtement sombre était de 47 °C.

S'habiller en noir pour se protéger du Soleil

Ainsi, un vêtement noir semble dangereux, puisqu’une augmentation de la température du corps de plus de 4 °C est fatale. Pour comprendre pourquoi les nomades du désert s’habillent quand même en noir, intéressons-nous à leurs tentes, qui sont aussi noires que confortables. Leur confort découle de deux effets physiques : l’ombre produite par la toile et la ventilation de la tente. Puisqu’elle absorbe mieux le rayonnement solaire, une toile noire produit un bien meilleur ombrage qu’une toile blanche de même épaisseur. Davantage chauffée par le Soleil, elle risque toutefois de transmettre sa chaleur à l’air qu’elle emprisonne. Pour éviter que cela n’arrive, les Bédouins ouvrent largement leurs tentes. L’air en contact avec le tissu noir s’échauffe, se dilate, et, devenant moins dense que l’air ambiant, s’élève avant de quitter l’abri par le haut. Il aspire de l’air extérieur moins chaud dans la tente, emportant avec lui la chaleur que lui a transmise la toile. La surface chaude de la tente amorce ainsi un mouvement de convection qui renouvelle constamment l’air de la tente, même en l’absence de brise. Le moteur du « ventilateur bédouin » est bien la toile noire de la tente.

La double robe des Bédouins

Est-ce grâce à la ventilation que les Bédouins ne souffrent pas de la chaleur qui s’accumule sur leurs vêtements noirs ? Oui, mais avant de l’expliquer, examinons ce qu’est un habit confortable au Soleil : comme une tente qui reste toujours à la température ambiante, un tel vêtement aide le corps à maintenir sa température à 37 °C, quelle que soit la température extérieure. Pour cela, il protège le corps de la chaleur extérieure et évacue aussi celle qui est produite en permanence par le métabolisme (même au repos un homme dissipe au moins 100 watts). Cette régulation s’effectue par la transpiration. Pour s’évaporer, la sueur absorbe de la chaleur qu’elle prélève sur la peau. Tout échauffement supplémentaire doit être compensé par une transpiration plus importante. Sous les tropiques, il arrive de perdre plus d’un demi-litre d’eau par heure aux moments les plus chauds. Un vêtement confortable facilite l’évaporation rafraîchissante.

Nous comprenons maintenant le choix des vêtements sombres et des vêtements clairs. Les vêtements qui se portent près du corps, tels une chemise et un pantalon, sont au contact de la peau. Pour éviter que le tissu ne devienne trop chaud, il est préférable qu’ils soient clairs. Les Bédouins en revanche portent des vêtements flottants, de grandes robes les couvrant de la tête aux pieds pour les protéger du Soleil, du vent et du sable. Les hommes enfilent d’abord à même la peau une grande chemise de coton. Cette dernière est ensuite elle-même couverte par un ample vêtement. Le tissu extérieur n’est donc pas au contact de la peau. En outre, l’air circule facilement entre les deux vêtements. L’air chauffé par le tissu extérieur s’élève à l’intérieur et aspire par-dessous la robe de l’air ambiant plus froid. Dans ce mouvement de convection, tout se passe comme si les deux robes jouaient le rôle de soufflets, rejetant l’air chaud à travers le tissu et par l’encolure. En réalité, la température de l’air circulant sous le vêtement, ainsi que la température de la peau ne dépendent pas de la couleur du vêtement extérieur : si la surface de la robe sombre absorbe plus d’énergie que la robe claire, l’échauffement de la surface noire renforce suffisamment les effets bénéfiques de la convection pour compenser cet excès d’énergie.

Même sous le Soleil, les lois de la physique nous autorisent le choix, selon notre goût, de la couleur de notre vêtement.

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