Interview Suzuki La Défense : nous voulons des nouveautés à vendre !

14/06/2022 Par acomputer 716 Vues

Interview Suzuki La Défense : nous voulons des nouveautés à vendre !

En 2020, Suzuki a décroché ses premiers titres pilote et équipe en MotoGP (nouvelle ère, 4-Temps) avec Joan Mir, Alex Rins et la GSX-RR. La firme d'Hamamatsu s'est également imposé une seizième fois (!) en championnat du monde d'endurance avec le SERT et la GSX-R1000R. Et après ?

À quoi bon remporter de prestigieuses compétitions sportives lorsqu'on se désinvestit sur le plan commercial ? C'est la question légitime que peuvent se poser les concessionnaires s'usent de la firme d'Hamamatsu en France, dont les ventes ont été divisées par quatre en une décennie (32 096 immats en 2007 Vs 7643 en 2019).

Certes, les Grand Prix moto sont populaires aux quatre coins du globe, et y imposer sa machine de course (prototype) doit permettre de vendre beaucoup plus de motos (de série) partout sur la planète, notamment sur les marchés les plus porteurs comme l'Extrême-Orient actuellement.

Mais à quoi bon réussir et s'unir en Endurance (pour rappel, le SERT et l'équipe Yoshimura viennent de fusionner) ? Ce championnat bien plus confidentiel intéresse essentiellement l'Europe et tout particulièrement la France, or le champion 2019-2020 ne propose plus de sportives dans son catalogue... Si pardon, 70 exemplaires de GSX-R1000R seront commercialisées en 2021 dans une superbe livrée MotoGP, "collector" donc !

Après l'avoir sollicité pour analyser le marché moto, Moto-Net.Com a interrogé la concession Suzuki La Défense au sujet de la marque qu'elle représente en exclusivité depuis 1974. Avec son patron Henri Farcigny, MNC a évoqué la compétition à l'international comme en France, les succès et flops commerciaux, les nouveautés à venir ou espérées...

Conscient que la gestion d'une société comme Suzuki exige de prendre des décisions souvent difficiles et parfois incomprises, notre interlocuteur nous explique pourquoi, de son côté, il a décidé de commercialiser une seconde marque depuis cet été : Super Soco, dont les motos et scooters électriques n'entrent pas en concurrence - directe - avec les produits Suzuki. Interview...

MNC : Les sacres de Joan Mir et de l'équipe d'usine en MotoGP, c'est bon pour la marque Suzuki, le réseau et votre concession ? H. F. : C'était tout d'abord incroyable ! Est-ce bon pour nous ? Pour le commerce non, ça ne sert à rien. C'est comme la compétition de manière générale...

Pour le commerce, les titres MotoGP ne servent à rien

MNC : Vous êtes effectivement bien placé pour le savoir : la saison victorieuse de votre pilote Thibaut Nagorski en Promosport 600 il y a deux ans, ne vous a pas apporté la moindre vente de sportive ? H. F. :Thibault a gagné sur la seule GSX-R600 du plateau, une moto qui a disparu du catalogue Suzuki en 2016, déjà... Chaque saison, on lui trouve une occasion récente avec un faible kilométrage. On lui en trouve toujours, car les sportives ne roulent plus ! Il se fournit chez nous en pièces, pneus, équipements... Quand il gagne, ses fans sont ravis, certains de nos clients le suivent et nous félicitent, mais ça s'arrête là ! Il a pourtant mis la pâté à tout le monde, aux R6 de toute dernière génération : sur les 8 manches, il a signé 8 poles. Chaque manche comptait deux courses qui se sont soldées par 15 podiums dont 14 victoires ! À la fin de la saison, on a eu droit au démontage complet du moteur pour vérifier que nous n'avions pas triché.

MNC : Les adversaires imaginaient qu'il roulait sur une "sept-et-demi" ?! H. F. : Voilà, mais tout était conforme, bien entendu : on ne vise pas ouvertement le titre en trichant, il n'y a rien de pire pour se faire avoir ! En 2019, nous sommes passés en Supersport 600 et malgré trois week-ends ratés, Thibault a terminé 7ème du championnat de France, avec deux podiums et deux 4èmes places. Le FSBK est plus suivi que le Promosport, nous étions encore les seuls Suzuki, mais cela ne nous a rien rapporté. À part bien sûr une grande fierté car on l'affichait partout, sur notre site, les réseaux sociaux, dans le magasin bien sûr, etc.

MNC : Vous n'avez plus de sportives à vendre. Sans produits, comment capitaliser sur le succès en compétition, en MotoGP principalement ? H. F. : La question se pose. C'est vraiment dommage car Mir est champion... mais Rins est troisième du championnat du monde aussi, preuve que ce n'est pas un simple coup de bol d'un pilote, mais la réussite du team au complet. D'ailleurs le team Suzuki Ecstar décroche le titre par équipe. Ça s'est joué à rien pour le championnat constructeur, alors qu'on a que deux motos, contre six pour Ducati, soit dit en passant.

Le lendemain du titre du SERT j'avais un client, mais pas de Gex

MNC : L'Endurance et ses modèles de série apportent plus ? H. F. : J'ai une anecdote à ce sujet. Le lendemain du titre mondial 2019-2020 du SERT, un client est entré chez nous : "bonjour, je voudrais un GSX-R1000R !". J'ai du lui répondre qu'il n'y en avait pas.

MNC : Il fallait lui proposer l'un des 70 exemplaires "2021" dans sa livrée anniversaire MotoGP, qui risque de devenir collector pour le coup ! H. F. : Ils vont avoir une belle cote effectivement. Mais au lendemain du sacre, nous n'avions pas de Gex à vendre. De toute manière, quand on regarde les chiffres du marché (sur Moto-Net.Com, bien évidemment, NDLR !), qu'est-ce qui se vend ? Forza 125, Xmax, Tmax, MT-07... Des scooters et motos qui ne sont pas dopés par l'aura de Valentino Rossi ou les succès de Marc Marquez. L'an passé, Honda a vendu près de 7000 Forza 125 (6 751 très exactement),soit pas beaucoup moins que l'ensemble de la gamme Suzuki (7 643 immats). Ce n'est pas grâce à Marquez, que j'adore cependant - il roule en Shoei, une marque que j'adore ! -, mais demain, Mir ne va pas nous faire vendre du Burgman. Cependant, le sport compte dans la moto.

MNC : La moto n'est pas qu'un moyen de transport, c'est aussi une passion ! H. F. : Tout à fait, nous en sommes la preuve. Par exemple, on a été parmi les premiers à soutenir une femme en Endurance mondiale et en Superbike français, c'était Véronique Parisot, en 1988. On a toujours été sensible à ça (lire la page Palmarès de Suzuki La Défense sur son site officiel).

MNC : Les GSX-R s'éclipsent... mais il parait qu'une nouvelle Hayabusa arrive bientôt ! Ce serait intéressant de l'avoir en vitrine ? H. F. : Encore une fois, oui et non. Sur le principe, tout le monde attend cette nouvelle Hayabusa...

La nouvelle Hayabusa arrive en 2021, pour les beaux jours

MNC : Précisons que le terme "Hayabusa" ne désigne plus le faucon pélerin au Japon, mais un serpent de mer... Depuis le temps qu'on en parle sans jamais rien voir. H. F. : Non, non, non, elle arrive bien en 2021, mais sa sortie risque d'être un peu retardée. Après, sortir cette machine en janvier serait un peu ridicule. Mieux vaut attendre les beaux jours. Mais il y a un souci avec l'Hayabusa : entre ceux qui en parlent, en rêvent ou l'aiment bien, et ceux qui achèteront effectivement la moto, il y a un gouffre.

MNC : La GSX-R1000R a connu le même problème ? H. F. : Complètement. Reprenons les précédentes générations de GSX-R1000 : en 2009 avec sa paire d'échappements (4 en 2) et aucune électronique, en 2012 la même avec son simple silencieux et ses freins Brembo, en 2015 la même avec l'ABS... Cette moto a tout gagné, même en 2016 contre la toute nouvelle R1M, ou contre la S1000RR qui n'a jamais rien gagné malgré ses performances et à cause de son manque de fiabilité. La Gex avait tout pour elle, y compris le tarif : 14 000 euros. Mais personne n'en voulait ! La majorité de nos clients attendaient qu'on ait un modèle de démonstration pas cher, une occasion récente, ou un exemplaire en promo ou bradé... Les coups de coeur "Oh je l'adore, je vous la prends !" arrivaient très rarement. Les autres clients attendaient mieux de Suzuki : puissance, poids, électronique, look, etc.

MNC : Suzuki s'est exécuté en 2017 avec les toutes nouvelles GSX-R1000 standard et R ! H. F. : Oui, avec 202 chevaux, 202 kilogrammes, traction-control ABS, ride-by-wire : la totale ! Du coup, j'ai appelé mes clients pour leur dire qu'elle était là... "Ah mais j'ai acheté un GSX-R750 K7 d'occasion", me disait l'un. Alors certes, ce K6-K7 est l'un des meilleurs "sept-et-demi" jamais conçu, reconnaissable à ses petits pots. On n'en veut pas à ce client, il est resté chez Suzuki. Mais il n'a pas attendu. Et d'autres n'étaient pas véritablement intéressés ! Les prix étaient pourtant bien placés : la standard était à 16 000 euros, la R à 19 000 euros, soit le prix des standards de la concurrence. En convention d'ailleurs, les concessionnaires Suzuki étaient ravis de ces tarifs, moi le premier.

Interview Suzuki La Défense : nous voulons des nouveautés à vendre !

MNC : Mais les clients ne l'ont pas vu comme ça ? H. F. : Non, ils trouvaient que finalement, l'ancienne n'était pas si chère ! Mais elle n'avait rien à voir en termes de sophistication. Les clients demandaient une MotoGP de route, mais au prix de l'ancienne. Impossible, même pour Suzuki qui sait pourtant compresser les couts : certaines pièces n'ont pas changé depuis les années 70 et les 2-temps. Pas les moteurs, hein !

Les clients voulaient une MotoGP au prix de l'ancienne GSX-R

MNC : Vos clients sont particulièrement exigeants ? H. F. : Ils l'ont toujours été. Je me rappellerai toujours de mes débuts à la concession : en mars 2011, un essai de GSR750 se concluait systématiquement par une vente. Je passais mes journées à stopper les motards au feu rouge devant le magasin, quelle que soit leur moto, pour leur proposer un test. Et tous signaient ou presque. Puis tout le monde nous a demandé quand sortirait la "GSR1000". La GSX-S1000 est arrivé en 2015, elle a plu tout autant durant les essais, mais les clients la trouvaient trop chère. Elle était pourtant mieux placée que la Z1000, tout en étant plus puissante, plus légère et dotée de l'antipatinage. En fait, je pense que la GSX-S1000 était hors-budget, plutôt que trop chère. Demain vous me proposez une Ferrari Enzo à 20 000 euros, je ne la prends pas : je ne les ai pas !

MNC : Le nom, "Géessixesse", était moins vendeur que GSR ? H. F. : Pour la petite histoire, le nom GSR1000 n'était pas libre, réservé dans un tout autre domaine que j'ignore, je l'avoue. Mais Suzuki s'en était sorti avec beaucoup de bon sens en distinguant ses sportives au traditionnel GSX-"R" pour Racing, de ses roadsters avec un "S" pour Street (dont les moteurs issus de GSX-R sont modifiés pour une utilisation en ville et sur route). C'était cohérent. Mais les clients ont mis du temps à l'intégrer.

MNC : La GSX-S750 est la meilleure vente Suzuki en France. Quel modèle vendez vous le plus ? H. F. : La V-Strom 650 XT, car c'est la moto qui a remplacé plein de motos dans la gamme. Elle a le moteur du SV, le confort d'un trail, la souplesse et l'agrément d'un Bandit, le tout à un super prix. Elle plait à tous, même aux petits car elle est finalement très fine grâce à son moteur en V. Le relooking de 2016 a beaucoup aidé, les gens ont aimé le look un peu plus DR, son jaune de motocross magnifique. Et puis c'est un vrai tapis volant. C'est typiquement une moto qu'on ne vend pas : on nous l'achète ! Peu importe le coloris d'ailleurs : "il ne vous reste plus que du blanc ? Je préférais la noir ou la jaune, mais je prends quand même" ! Un succès similaire au Van-Van 125, la Bandit, la GSR750... C'est d'ailleurs un peu à cause du succès de la GSR que nous avons vendu beaucoup moins de GSX-S750. Nos clients les gardent, et ne remplacent par leur "sept-cinquante" par un autre. Ils préfèrent passer au 1000, ou à la concurrence malheureusement.

MNC : Vous avez vendu plus de GSR750 que vos petits camarades ? H. F. : Notre collègue et ami de la famille, Luc Motos, avait tourné une vidéo promotionnelle avec le stunter Matt Mekatrix. Elle était top... à tel point qu'on s'est demandé s'il n'allait pas nous piquer trop de ventes ! Au final, on ne sait pas trop comment, les gens sont venus chez nous. Il faut reconnaitre qu'on est très, très bien placé, au pied des tours de la Défense. C'est d'ailleurs ce qui nous sauve, surtout en période de crise. Mais ce type de vidéos servent aussi ! Cela nous manque d'ailleurs. Il en faudrait plus au niveau national, des vidéos fun, entrainantes, dans lesquelles on voit bien la moto. Pas prises de loin, au fond d'un garage ou un parking enfumé et funèbre.

On ne vend pas la V-Strom 650 XT : on nous l'achète !

MNC : Quel accueil a été réservé à la V-Strom 1050 ? H. F. : Même "punition" qu'avec la GSR750... Nos clients ravis de la dernière V-Strom 650 n'étaient pas prêts à réinvestir dans plus gros, ou n'y voyaient pas d'intérêt. On parlait de la fiabilité de nos produits, mais on peut aussi parler des crédits Suzuki très attractifs, limite trop ! Les clients nous sont fidèles mais n'achètent pas des motos tous les ans !

MNC : Le néo-rétro à la mode des années 80 avec la Katana, c'est encore trop tôt ? H. F. : Non, je dirais que comme d'habitude, Suzuki est arrivé après la guerre, avec la SV650 Scrambler par exemple, ou la Cafe Racer. La Katana, c'est une moto qui a été plutôt bien accueillie en termes de look, d'image en général. Mais son premier défaut, c'est d'être disponible uniquement en 1000 cc, donc à un tarif conséquent. Dans les années 80, elle était déclinée en plusieurs cylindrées, et cela nous manque. Ensuite, il faut rappeler que c'est un "remake" d'un flop.

MNC : Elle est devenue culte pour certains, plus tard... H. F. : Complètement, comme la Delorean dans l'automobile. Avant Retour le Futur, cette voiture était un bide complet.

MNC : Il aurait fallu que Marty McFly voyage dans le temps en Katana ! H. F. : Peut-être. En attendant, ce modèle avait été un flop, comme les premiers 4-temps chez Suzuki d'ailleurs. Et le remake du flop... a fait un flop. En partie parce que les gens ne recherchaient pas cela en priorité chez Suzuki.

Remake d'un flop, la Katana a fait un flop...

MNC : Justement, quel modèle vous fait le plus défaut actuellement ? H. F. : Ce qui nous manque cruellement à mon avis, c'est de l'électrique. Ça ne se sait pas beaucoup ici, mais Suzuki vend beaucoup de vélos électriques au Japon. Il faut qu'on puisse rouler malgré les nouvelles législations, surtout dans Paris et la petite couronne. De l'hydrogène pourquoi pas ?! Suzuki a aussi travaillé sur la pile à combustible, dès 2007. Deux ans plus tard, la marque présentait le premier Burgman Fuel Cell, testé par la police municipale de Londres. Mais il n'a jamais été homologué en France : "trop dangereux", soit disant... Suzuki était à la pointe sur ces motorisations, mais ça ne s'est jamais concrétisé. Ils ont fait du neuf avec du vieux. Malheureusement ça se voit, en termes de volumes de ventes. Et heureusement, dans un certain sens, car cela prouve que les clients sont exigeants et savent ce qu'ils veulent : ça fait plaisir quelque part !

MNC : Et en thermique, que vous faut-il ? H. F. : Il nous manque du 50 cc, mais Suzuki les a stoppés en 2001-2002. Avant, nous avions les motos RMX et SMX, les scooters Zillion et... Katana ! J'ai de la demande quasiment toutes les semaines. On me demande quand Suzuki proposera à nouveau des 50 : jamais !

MNC : Le marché du 50 cc repart ? H. F. : À fond. Les jeunes s'y remettent, notamment parce que le permis 125 ne les intéresse plus. Et les moins jeunes y reviennent, lorsqu'ils perdent leur permis ou en préventif pour ne pas perdre de points. C'est pour ça que nous avons tout de suite accepté la proposition de Super Soco : leur 50 cc (l'équivalent électrique, NDLR) fait un carton, on en vend 2 à 3 par semaine !

MNC : Les scooters 125 cc ont aussi beaucoup de succès auprès des automobilistes. Forza, Xmax, PCX, Nmax... H. F. : Oui, et on observe que ce n'est pas une question de budget : les deux premiers sont très chers, environ 5000 euros ! Notre Burgman 125 était à 4300 euros avec un plus grand coffre, une selle plus basse et un look qui n'attire pas les voleurs (rires de MNC). C'est vrai ! Faut le reconnaitre, il n'avait pas un design agressif ou aguicheur, mais c'était justement un argument fort pour un client lassé de se faire piquer trois fois son Forza. Bon, en attendant il avait acheté trois Honda. Mais c'est vrai qu'il serait bon de refondre la gamme Burgman !

La GSX-S750 A2 ? Une PS4 Pro pour jouer aux jeux PS2...

MNC : La GSX-S750 marche bien commercialement en A2. Mais une machine destinée à l'origine aux permis A2 serait bien, non ? H. F. : La GSX-S750 est une très bonne moto. Mais elle est chère pour un A2, chez nos clients en tout cas. Et puis un gros 4-cylindres bridé à 47,5 chevaux, ça n'avance pas. Il faut monter haut dans les tours, sauf qu'on arrive au rupteur après 7000. Autant prendre un SV ! C'est ce que j'essaie de dire aux jeunes motards, en utilisant une comparaison de "gamer" - j'en suis un - : acheter une GSX-S750 A2, ça revient à acheter une PlayStation 4 Pro pour ne jouer qu'aux jeux de PS2. Et lorsque la PS5 sort, on revend la 4 Pro sans jamais en avoir profité au final... "Ah ouais, c'est pas bête". Je leur explique que c'est quasiment le même tarif que la "GSX-S750 Full", le même coût en assurance et en entretien, pour des performances inférieures à celles d'un SV.

MNC : La "Sept-et-demi" est valorisante. Et chez Suzuki, c'est une cylindrée de référence. H. F. : Oui, mais c'est à l'arrêt par rapport à la concurrence et ses 900. Et en "700", la MT-07 est ravageuse. Bon, je comprends qu'elle plaise au niveau du look, maintenant son image de machine à faire des roues arrières... Ce n'est pas la preuve qu'elle marche plus fort qu'un SV. Après tout, je "lève" aussi avec un Super Soco 50 !

MNC : Il faudrait rebosser la SV... H. F. : Elle a connu un immense succès en 1999, confirmé avec l'injection en 2002-2003. Elle est malheureusement vieillissante. Son phare rond fait vieillot... Ou peut-être pas assez pour se placer dans la mouvance néo-rétro. Les jeunes veulent une moto qui fasse costaud, pas cher et efficace.

MNC : Et les grosses cylindrées qui ont totalement disparu du catalogue Suzuki ? H. F. : Là encore, je rejoins l'avis de la maison mère, avec l'exemple de la GSX-R1000 : on n'en propose pas car ça ne se vend pas ! Les gens en veulent, mais en occasion. On vendait plus de Gex 1000 que de 600 et 750 réunis. Les clients disaient : "Ah c'est dommage, la Supersport et la "Sept-et-demi", elles étaient bien". Mais si elles étaient si plaisantes, il fallait les acheter ! Quand Suzuki a annoncé la fin de la GSX-R1000 en Europe, j'ai passé mon temps sur les réseaux sociaux à râler, pas à critiquer mais à remettre en question les commentaires des personnes tristes ou furieuses de cette décision. Je leur soumettais un petit questionnaire : à quand remonte votre dernier achat de Suzuki neuve ? La dernière GSX-R ? Neuve ou d'occasion ? Je n'avais jamais de réponse. Ou on me répondait "un GSX-R600 K6, un GSX-R1000 K5"... Je cite les modèles les plus populaires, car aucun n'avait de Gex récente. Je serais le premier ravi de voir le retour de la Gex 600 ou de la 750, qu'on était les seuls à conserver. Mais elles ne se vendraient pas...

Les GSX-R600 et 750 étaient plaisantes ? Il fallait les acheter !

MNC : Honda n'importera pas sa nouvelle CBR600RR, Yamaha ne vendra plus qu'une R6 de piste... H. F. : Et certains motards sont scandalisés ! Mais quand on demande combien envoient un chèque pour en réserver une, là, tout de suite : plus personne. C'est le problème. Ou la réalité. C'est là que je défends Suzuki, malgré les difficultés qu'on peut avoir en ce moment : le marché est parfois difficile à cerner en France, et en Europe.

MNC : Et les gros Bandit 1200 ou GSX-F1250, simples, efficaces, confortables et pas chers. Il n'y a plus de clientèle pour ça ? H. F. : Là aussi, on peut citer la V-Strom 1050 qui vient de sortir. Celles qu'on voit rouler sont des démos. On en a vu sur le Tour de France... même ceux qui ne suivent pas le vélo de près ont vu la chute du cycliste ! Mais nous, en banlieue parisienne, on n'en voit aucune. Mon père, le fondateur et directeur de Suzuki La Défense, fait des allers-retours chaque semaine entre ici et sa maison dans le Loiret. Il a vu sa première V-Strom XT hier seulement. On a un client qui roule au quotidien en Burgman 650, qui a acheté un V-Strom 1050 pour le loisir. C'est tout. Il ne l'a pas acheté chez nous, mais on l'entretient. Quant aux 1200, ça ne se vend plus. Il n'y a plus de CB1300 non plus, ni de XJR1200, etc. Ces gros moteurs au fond, ça ne plait qu'aux journalistes !

MNC : Touché. H. F. : Je dis ça mais je comprends. J'ai moi même beaucoup roulé sur TL1000S, un modèle de 97 racheté à un client. C'était merveilleux comme engin, c'était coupleux, puissant, ça partait d'un coup, "Broaaaar !" Certains regrettent cette TL1000S ou la TL1000R. Mais Suzuki les relancerait aujourd'hui, elles ne se vendraient pas mieux qu'à l'époque. En région parisienne, on ne peut plus s'en servir, ou alors sur le circuit Carole.

MNC : Sauf que les français préfèrent les grosses, c'est bien connu. Il n'y a qu'à voir le succès de la Z750. H. F. : Oui, mais Kawasaki proposait cette moto à un prix proche des 600. Aujourd'hui, la hausse des cylindrées a entrainé une hausse des prix. Une Gladius valait 5600 euros, aujourd'hui une SV vaut plus de 1000 euros de plus. Un GSR750 valait 7000 euros, la GSX-S en vaut 2000 de plus... Un GS500F, caréné donc, valait 4500-4600 euros, ce qui n'est pas même pas le prix d'une 250 chez Suzuki.

Un succès monstre avec l'Inazuma 250 !

MNC : Les 250-400 cc ne marchent pas en France. H. F. : Faux ! On a connu un succès monstre avec l'Inazuma. Déjà parce que j'ai beaucoup misé dessus, personnellement. C'est le PDG de Suzuki France d'alors, Haruo Ito, qui avait pris la décision d'importer ces premières motos "Made in China". On aurait dit des mini GS500. Elle prenait 140-145 km/h à fond, son bicylindre 250 cc était incassable, et son tarif n'était que de 3500 euros ! Je vendais cette moto à tous ceux qui venait chercher une occasion SV, Bandit ou V-Strom... Ceux qui cherchaient avant tout, passez moi l'expression, un "traine-cul" pour aller au boulot ou faire des courses. Au final, ils préféraient l'Inazuma 250 neuve, rôdée par leur soin, sous garantie 2 ans pièces et main d'oeuvre, en règle aux dernières normes antipollution.

MNC : C'est ce qui a fait le succès de Dacia dans l'auto : vendre une Sandero neuve au prix d'une Clio d'occasion. H. F. : Tout à fait. J'ai bien fait rire mon chef d'atelier car dès qu'un client franchissait le seuil de la concession, je lui proposais une Inazuma 250 ! Comme dans la pub Sandero justement. C'était un peu "Vous voulez faire de la ville ? Prenez une Inazuma. De la route ? Prenez une Inazuma, etc". Puis sont arrivées la V-Strom et GSX-R 250 et là, gros drame... Le look était bien là sur la sportive, les suspensions étaient super sur le trail. Mais ça ne collait pas à cause des performances, identiques à celles de l'Inazuma sans plus, et à cause du tarif exorbitant. Il faut dire que Yamaha a fait très mal avec sa MT-07.

MNC : À l'opposé, Porsche réalise des records de ventes. Et en moto, BMW se trouve dans le Top5 des ventes françaises avec ses R1250GS standard et Adventure. H. F. : Oui, mais les GS sont souvent des motos d'entreprise, donc les utilisateurs ne les paient pas directement. Si elles cassent ce n'est pas grave, si la petite révision/vidange est à 3000 euros (je "trolle" bien sûr) ce n'est pas un souci non plus : c'est la boite qui paye. Ils ne s'aperçoivent pas du coup réel et total de la machine car c'est échelonné dans le temps ou pris en charge par leur boite. Or nous n'avons pas ce type de clientèle chez Suzuki. Si, on l'avait un peu avec le Burgman 650, mais il est arrêté !

MNC : Vous parlez de mensualités... La location (avec option d'achat ou longue durée) sont de plus en plus en vogue dans la moto, sans parler de l'auto. C'est le cas chez vous ? H. F. : Nous en faisons très peu car j'ai le "défaut" ou la qualité d'informer mes clients. Le problème c'est que ça me fait louper des ventes. Mais je préfère cela : quand je vois l'apport monstrueux parfois exigé et le prix de rachat ridicule, afin de limiter au maximum les mensualités, je n'ai pas envie que mon client paye 1,5 fois son véhicule. Et si il ne souhaite pas reprendre une nouveauté à tout prix (c'est le cas de le dire ,NDLR) ou que sa marque n'en propose pas - comme Suzuki ! -, le client est massacré à la moindre rayure, comme chez les loueurs de voitures.

Pas envie que le client paye 1,5 fois sa moto

MNC : Certains de vos confrères et leurs clients semblent toutefois ravis de cette nouvelle manière de consommer la moto... H. F. : Oui, je sais que notre collègue au Mans, Moto Parc 72, a beaucoup misé dessus. Il est très fort là-dessus et bravo à lui d'ailleurs. Mais c'est un grand magasin qui dispose d'une vaste zone de chalandise. Et les produits qu'il vend ne sont pas les mêmes que nous. Suzuki France nous a envoyé de nombreux documents au sujet de la LOA, proposé des formations en ligne. Mais notre clientèle n'est pas très réceptive. Ou je me montre peut-être trop objectif sur cette solution de financement. D'une manière générale d'ailleurs, je préfère proposer la bonne moto au bon prix, plutôt que proposer une remise sur une machine qui ne correspond pas aux besoins de mon client. J'arrive à en convaincre certains qui sont super heureux de ma bienveillance et de mon expertise.

(Un client, juste à côté : "Je peux témoigner. Je suis un client super heureux grâce à Henri !")

H. F. : Ah, voilà (rires). D'autres restent campés sur leur décision et dans ce cas, je ne refuse pas la vente : ce n'est pas légal, en plus d'être suicidaire. Mais il arrive que les gens se braquent et captent mal mon message : ils préfèrent alors aller voir ailleurs, et je le comprends. Mais je préfère parfois rater une vente plutôt que de fournir à un client un produit qui ne lui correspond pas. Je ne vais pas vendre un Burgman 650 à quelqu'un qui fait Courbevoie-Bastille tous les jours. Notre maxiscooter est fait pour les plus grands espaces.

MNC : Ces personnes vont se procurer leur machine chez un confrère ! H. F. : Chez un concurrent en fait. Car mon concurrent, ce n'est pas mon voisin Honda National Motos : on n'a pas les mêmes gammes, les mêmes produits. Mes concurrents, ce sont les autres concessionnaires Suzuki. Or certains n'hésitent pas à vendre une moto ou un scooter sans se soucier de l'intérêt du client. Et pour réaliser la vente, ils font une grosse remise. Sauf que pour l'entretien, les gens reviennent chez nous par commodité ou par confiance. Car question service, nous essayons d'être irréprochables. Personnellement, je peux même me montrer saoulant... Personne n'est parfait mais encore une fois, un client heureux est un client qui revient !

MNC : Comment se fait-il que vous ne vendiez pas plus de motos, si vous êtes si sympas et pros ?! H. F. : Honnêtement ? Je ne comprenais pas. Je n'ai vendu que 5 motos/scooters Suzuki cette année, 49 l'année dernière. C'est beaucoup moins que les autres années, et surtout beaucoup moins que la majorité de nos "collègues-concurrents"... Il y a dix ans, on se battait pour être premier en Ile-de-France des ventes de véhicules neufs. Aujourd'hui on est en queue de peloton. J'ai donc appelé Suzuki France pour savoir. "Ecoute (oui, je suis un des rares à tutoyer tout le monde là-bas car nous sommes l'un des magasins les plus anciens), je ne comprends pas : on est très bien noté sur Google, Facebook, etc, chaque devis se solde par une vente. C'est le cas depuis deux ans : 100% de réussite, je suis très fier de moi. Sauf que je ne fais pas assez de devis"...

Une politique à l'ancienne : commerçants, pas commerciaux

MNC : Et la réponse, au final ? H. F. :J'ai appris - et vu des factures - que certains Burgman 650 ou 125 avaient été vendus avec des remises de fous furieux. Mais on ne va pas vendre sans rien gagner ?! Je suis franc avec les clients qui réclament des remises impossibles : si c'est moins cher là-bas, allez-y, je ne peux pas m'aligner. Alors ils y vont... Mais reviennent pour l'entretien. On préfère ça que l'inverse, ça nous rapporte plus. Chez Suzuki La Défense, on garde une politique à l'ancienne, de commerçants et pas de commerciaux. Aujourd'hui, la notion de service tend à disparaitre : les gens commandent leur McDo sur des bornes. Demain, ils achèteront des Suzuki sur des bornes aussi, avec calcul de la remise automatique. Mais c'est triste ! Et ça ne correspond pas à la moto selon moi. On lit parfois des commentaires sur les réseaux sociaux : je cherchais une moto, j'ai trouvé une famille.

MNC : Certains ont trouvé la famille Farcigny ! H. F. : Exactement, le père, la mère et le fils ! Mon frère aussi fût un temps, mais il s'est mis dans la voiture, toujours Suzuki bien sûr.

MNC : +14% en 2019 pour Suzuki en Auto... 31 500 immats, soit un retour au niveau 2007, avant crise (financière, pas sanitaire). Ca marche bien pour votre frangin ? H. F. : Ah pour lui, ça marche à fond ! À tel point qu'il n'arrive pas à livrer. Trop de demande, pas suffisamment d'arrivage ! Dans la moto c'est bien plus tendu et les clients courent après les remises. J'ai loupé la vente d'un véhicule à 7000 euros pour 15 euros. Le mec a fait trois allers-retours dans le sud du département.

MNC : Ca lui a coûté plus cher en essence... H. F. : Voilà. On doit trouver un juste équilibre : provoquer les ventes sans les forcer, faire en sorte que le client se sente bien entouré. C'est que ma mère avait instauré en 2001 à son arrivée. L'ancien vendeur était plus "agressif" commercialement, ce qui était bien attention, c'était fructueux. Avec ma mère, on est passé à autre chose : bienveillante, attachée au service, dévouée même. Et j'ai voulu garder cette ligne de conduite.

Provoquer les ventes sans les forcer...

MNC : La concession est toujours là, 20 ans plus tard. C'est une bonne formule ! H. F. : Oui mais c'est dur, à deux niveaux. Sur le plan immobilier, ma mère qui est maintenant à la retraite surveille toujours de près la concession car avec la mairie et le futur Grand Paris, nous sommes constamment sollicités. D'un point de vue commercial, cette recette fonctionne à condition d'avoir quelque chose à vendre. La preuve avec les Super Soco "125" et "50" ! Je veux des nouveautés Suzuki à vendre !!!

MNC : Ce sera le mot de la fin... et le titre de l'interview sans doute ! Merci pour toutes ses réponses sans langue de bois. H. F. : Merci à vous. Et désolé pour la longueur de l'interview, je suis bavard !