La gestion clanique de la Côte d'Ivoire sous Alassane Ouattara

03/04/2022 Par acomputer 818 Vues

La gestion clanique de la Côte d'Ivoire sous Alassane Ouattara

Après avoir dénoncé la gestion du pays par ses prédécesseurs (Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo…) comme étant familiale voire clanique, l’ancien gouverneur de la BCEAO n’a de cesse depuis cinq ans d’ouvrir les portes de l’Etat mais aussi des sociétés publiques et, plus largement, de l’économie ivoirienne, à ses proches parents ou amis fidèles.

Ces nominations ont été majoritairement décidées de manière discrétionnaire. Du cacao au marché de vérification des importations, en passant par les affaires présidentielles ou bien la communication, le premier cercle du chef de l’Etat et de son épouse Dominique Ouattara rayonne dans tous les secteurs stratégiques du pays.

Masséré Touré à l’école de journalisme…

Dircom’ de la présidence ivoirienne, Masséré Touré a été nommée le 13 juillet nouveau membre du CA de l’Institut supérieur des sciences et techniques de la communication (ISTC), établissement public sous tutelle du ministère de la communication. Le même jour, la nièce d’Alassane Ouattara a été adoubée au sein du CA du groupe public RTI. Elle y remplacera Amadou Coulibaly alias “AM’S”, actuel chef des services extérieurs au palais présidentiel. De quoi renforcer encore l’influence de celle qui n’hésite plus à réprimander les patrons de presse proches du pouvoir lorsqu’un article lui déplaît. Masséré Touré cumule plusieurs autres postes d’administratrice dans des structures publiques (groupe Fraternité Matin, AIP…).

Ouattara veut son homme à la tête de la CCICI

La présidence influe pour la désignation d’un membre du RDR comme futur président de cette structure. La liste “Unis pour la promotion des entreprises” emmenée par le pharmacien et militant du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) Parfait Kouassi et l’assureur Faman Touré est sortie grande victorieuse de l’élection des nouveaux membres de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire (CCICI), le 10 juillet.

Avec 93 sièges sur 102, elle a écrasé la liste “Union pour une chambre forte” dirigée par les hommes d’affaires Souleymane Méïté, Ibrahim Traoré et Moussa Diomandé. Principales victimes de cette dernière liste : Zoumana Bakayoko, le frère aîné du ministre de l’intérieur et de la sécurité Hamed Bakayoko mais aussi d’autres personnalités comme Augustin Sidi Diallo, patron d’Ivosep, principale société de pompes funèbres d’Abidjan ou Jean­Louis Menudier, le directeur général de l’entreprise Uniwax spécialisée dans la confection de tissu et de pagnes.

Ce vote ouvre la voie à un round de négociations entre Parfait Kouassi et son colistier Faman Touré en vue de désigner le futur président de la chambre. Cette élection doit se tenir le 31 juillet. Selon nos sources, la présidence ivoirienne pousse clairement pour une candidature de Faman Touré à ce poste. Gestionnaire de ce dossier au palais, le secrétariat général piloté par Amadou Gon Coulibaly estime notamment que la CGECI, autre structure du même type, étant déjà dirigée par un “PDCiste”, en l’occurrence Jean Kacou Diagou, la CCICI doit logiquement revenir à un membre du RDR d’Alassane Ouattara.

Sega Sangaré mis en orbite à la SNEPCI

Le professeur en médecine Sega Sangaré est pressenti pour présider la Société nouvelle de presse et d’édition de Côte d’Ivoire (Snepci) éditrice du quotidien gouvernemental Fraternité Matin. Il succèderait à Viviane Zunon Kipre arrivée en fin de mission. Sega Sangaré est l’actuel président de l’hôpital mère­enfant de Bingerville, érigé grâce aux fonds issus des activités caritatives de Dominique Ouattara dont il est proche. Masséré Touré, responsable de la communication présidentielle et nièce d’Alassane Ouattara, a par ailleurs été confirmée, le 29 juin, comme membre de ce même conseil d’administration.

ADO promeut Jean-Baptiste Soro

Le chef d’Etat a élevé Jean­Baptiste Soro, son principal chargé de mission à la présidence et fidèle collaborateur depuis les années 90, au grade de général de gendarmerie. Jean­Baptiste Soro s’était mis en retrait de la gendarmerie en 1994 à la fin du mandat d’Alassane Ouattara alors Premier ministre. Selon nos sources, il a bénéficié d’une décision spéciale du président ivoirien. Une confusion inédite entre sphère publique et secteur privé s’est installée à Abidjan. Elle profite surtout aux ministres.

De nombreux parents de personnalités politiques profitent de leur réseau familial au sein de l’appareil d’Etat pour prospérer dans le privé. Des pratiques aux antipodes de l’image que souhaite véhiculer Alassane Ouattara, ancien haut fonctionnaire du FMI. Pétrole, énergie, transports ­ La société Citrans logistique et patrimoine, opportunément créée en 2014 par Zoumana Bakayoko, le frère aîné du ministre de la sécurité et de l’intérieur Hamed Bakayoko, s’est vue octroyer l’une des deux concessions de transport fluvial à Abidjan. Le gouvernement a apporté sa garantie pour le financement de ce projet à hauteur de 21 milliards FCFA (32 millions euros) en signant avec le groupe marocain Banque populaire.

Zoumana Bakayoko est aussi présent dans le cacao via sa société Agro West Africa. Egalement dans la course aux marchés publics, l’entreprise Tanassa Technologies SA, fondée en 2012, est présidée par le ministre de l’énergie et du pétrole Adama Toungara et dirigée par… sa fille Bintou Kamara Toungara. Entreprise présente sur divers marchés, Tanassa Technologies emporte des contrats liés au secteur pétrolier. Dès la nomination de son père Gaoussou Touré comme ministre des transports, Mariam Touré a, pour sa part, créé First Communication. Cette société de conseil récupère de nombreux contrats émanant du même département ministériel ainsi que l’organisation d’événements comme l’African Network BBQ.

Cercles présidentiels ­Quant aux membres de la famille de Dominique Ouattara, ils sont aux premières loges. Son frère Philippe Nouvian, patron du cabinet Gemco, s’est vu octroyer des chantiers de réhabilitation de la présidence. Le second de la fratrie, Marc Nouvian, s’active dans le cacao via la Soneici tout comme l’aîné de la première dame ivoirienne, Loïc Folloroux. L’entreprise de ce dernier, Africa Sourcing, a d’ailleurs été gratifiée de plus de 3,6 milliards FCFA d’exonérations fiscales. Jean Marc Béjani, le mari de Nathalie Folloroux, fille de Dominique Ouattara, dirige Majestic One qui possède le monopole d’exploitation des salles de cinéma à Abidjan.

Bon pied, bon œil, Benedict Senger, le gendre d’Alassane Ouattara, préside, quant à lui, Webb Fontaine Côte d’Ivoire, filiale du groupe Webb Fontaine chargée de contrôler les importations et les exportations du pays. Quant au neveu du chef de l’Etat, Ahmadou Touré, patron de Puma Energy Côte d’Ivoire, filiale de Trafigura, il s’apprête à récupérer en gré à gré le réseau de stations service de la Petroci.

Cadeau en chocolat pour les proches du Palais !

Une trentaine d’exportateurs sont exemptés de payer certaines taxes pour la campagne en cours. Les ministres Mamadou Sangafowa Coulibaly (agriculture), Abdourahmane Cissé (budget) et Adama Koné (finances) ont accordé une exonération de taxe équivalente à 54 FCFA (0,08 euros) par kilogramme de fèves récoltées à une trentaine d’exportateurs.

Au total, 200 000 tonnes issues de la campagne 2016­2017 sont concernées par cette mesure, soit un cadeau de près de 11 milliards FCFA (16,7 millions €). Ces opérateurs sont membres du Groupement des négociants ivoiriens (GNI), proche des cercles du pouvoir. Lambert Konan Kouassi et Massandjé Touré­Litsé, deux proches de Dominique Ouattara, respectivement président et DG du Conseil café­cacao (CCC), ont préparé l’arrêté signé par les ministres.

Africa Sourcing, la société de Loïc Folloroux, le fils de la première dame ivoirienne, obtient le plus gros quota (60 000 tonnes, soit 3,6 milliards FCFA) sur lequel ces mesures seront appliquées. La coopérative Coopadis de Raymond Koffi, un proche du régime, se contente de 20 000 tonnes. Agro West Africa dirigé par Zoumana Bakayoko, le frère du ministre de l’intérieur Hamed Bakayoko, n’a obtenu que 1 000 tonnes. Ces avantages ont eu le don d’agacer les multinationales qui ne parviennent toujours pas à obtenir un accord similaire des autorités.

Les familles au pouvoir !

Les chefs d’Etat s’en remettent à leurs proches pour tenir les leviers du pouvoir et penser l’avenir. Le phénomène touche désormais des pays qui à l’instar de la Guinée semblaient jusqu’à présent peu concernés. Ex­femme à la manœuvre. Après avoir nommé, dès son premier mandat, son fils unique Mohamed Alpha Condé comme conseiller spécial au palais Sekoutoureya, Alpha Condé ne jure que par son cousin Gabriel Curtis. Depuis février 2014, ce financier formé à l’université McGill (Canada) et à la Columbia University (Etats­Unis) pilote l’influente Agence de promotion des investissements privés (APIP) chargée d’ouvrir le pays aux opérateurs étrangers.

Curtis ne quitte plus le chef d’Etat guinéen notamment lors de ses missions à l’étranger. Réélu en octobre pour un second mandat, Alpha Condé, 78 ans, mise en outre plus que jamais sur sa première épouse peule, Mama Kanni Diallo, rare femme de pouvoir à ne pas verser dans le caritatif. Ministre du plan, celle­ci a récupéré début avril, au sein de son département, l’influente direction nationale des investissements publics du ministère de l’économie et des finances. Cette restructuration permet parallèlement à Alpha Condé d’adresser un signe fort aux Peuls, au moment où il entreprend un rapprochement avec cette communauté proche de son opposant Cellou Dalein Diallo.

La gestion clanique de la Côte d'Ivoire sous Alassane Ouattara

Frères, sœurs, cousins…

À Abidjan, Alassane Ouattara s’appuie sur son frère cadet Téné Birahima Ouattara, inamovible ministre d’Etat chargé des affaires présidentielles au palais du Plateau. Tour de contrôle du régime ivoirien, il gère aussi bien les finances et les fonds souverains que l’agenda et les rendez-vous médicaux du chef de l’État. Il pilote également les dossiers relavant de la sécurité du pays, d’où sa présence au CNS. D’autres membres du clan ont ainsi été “placés”, comme la nièce Masséré Touré, directrice de la communication du palais.

Gendre d’Alassane Ouattara, Benedict Senger dirige quant à lui depuis 2011 la filiale du groupe Webb Fontaine, attributaire du juteux contrat de vérification des importations en Côte d’Ivoire.

Deux proches de Ouattara se disputent le transport lagunaire

Zoumana Bakayoko et Adama Bictogo sont en concurrence sur ce secteur stratégique promis à un bel avenir. La société de transport lagunaire Citrans fondée par Zoumana Bakayoko, frère du ministre de l’intérieur et de la sécurité, Hamed Bakayoko, vient de signer un contrat de 22 millions $ avec le sud­africain Nautic Africa. Cet accord doit permettre la construction de 18 navettes de 240 places d’ici septembre.

Pour cette opération financée par le Groupe Banque populaire, représenté localement par sa filiale Banque Atlantique, l’homme d’affaires a bénéficié de l’appui de Goodwill. Ce cabinet de conseil est dirigé par Adou Bakar Ouattara, un conseiller d’Hamed Bakayoko. De son côté, l’ancien ministre de l’intégration démissionné en 2012, Adama Bictogo, est toujours à la recherche de financements pour développer le même type de projet via sa société RF Lines, après le retrait de son partenaire turc Yildirim Group of Companies dirigé par Robert Yüksel Yildirim. Les deux hommes ne sont pas parvenus à s’entendre, notamment sur le business plan (LC no714). En attendant, Citrans et RF Lines sont les seules entités privées à bénéficier d’une concession pour exploiter le transport sur la lagune Ebrié, brisant ainsi le monopole de la Société des transports abidjanais (Sotra), compagnie publique de transport.

Ouattara cadeaute les exportateurs de cacao

Sur instruction d’Alassane Ouattara, le ministre ivoirien de l’agriculture, Mamadou Sangafowa Coulibaly, a signé le 18 décembre un arrêté favorisant les opérateurs nationaux de cacao. Ce texte a notamment adopté une exonération fiscale sur les exportations pour les entreprises commercialisant moins de 150 000 t de fèves. Parmi celles­ci figurent Africa Sourcing fondée par Loïc Folloroux, le fils de Dominique Ouattara, Agro West Africa dirigée par Zoumana Bakayoko, le frère aîné du ministre de l’intérieur et de la sécurité, Hamed Bakayoko, ou encore Sonemat de Malick Toé, un proche du président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro.

Ouattara lave moins blanc dans son propre camp

Décidé à nettoyer les écuries d’Augias durant son second mandat, le chef de l’Etat devrait cette fois encore épargner les figures de son camp. La guerre à l’impunité qu’Alassane Ouattara a décidé d’intensifier durant son second et dernier quinquennat devrait, comme au cours du précédent mandat, éviter de cibler les membres du Rassemblement des républicains (RDR), ainsi que les proches du régime impliqués dans des affaires douteuses et, jusqu’à présent, non inquiétés par la justice. C’est le cas de Mamah Diabagaté. Membre du parti au pouvoir, ce dernier vient d’être limogé de son poste de DG de la Caisse nationale des Caisses d’épargne (CNCE) par la ministre déléguée à l’économie et aux finances, Kaba Nialé. Il lui a été reproché des “manquements professionnels graves”.

Toutefois, aucune enquête n’a été lancée au niveau national alors que Mamah Diabagaté, coordinateur de la dernière campagne électorale d’Alassane Ouattara à Bondoukou (nord­est), a déjà été sanctionné pour les mêmes faits par la commission bancaire de l’UEMOA. Avant Mamah Diabagaté, Barnabé Yobouet Yao, autre directeur de banque publique, en l’occurrence la Banque pour le financement de l’agriculture (BFA) ­aujourd’hui liquidée­, a fait l’objet d’une procédure émanant de la même commission bancaire. Ces exemples ne sont pas isolés.

En août 2012, le président ivoirien avait procédé au limogeage, par décret, du directeur financier et responsable du patrimoine du ministère de l’enseignement supérieur, Adama Méité, en raison d’une “mauvaise gestion” constatée sur l’ambitieux programme de réhabilitation des universités publiques. Premier ministre à cette époque, Jeannot Kouadio Ahoussou avait été contraint d’ouvrir une enquête sur les conditions d’attribution de ce marché. Sauf que les conclusions n’ont jamais été rendues publiques… Pour sa part, Adama Bictogo, limogé en 2012 de son poste de ministre de l’intégration régionale car visé dans l’affaire de détournement des fonds des victimes du Probo Koala, continue de prospérer à la tête de son groupe Snedai.

Cacao : les proches du régime Ouattara veulent leur part du gâteau

Après la liquidation du GNI, Loïc Folloroux, le fils de Dominique Ouattara, est à l’origine d’une nouvelle structure destinée à capter une partie du négoce géré par les majors. La création en 2011 du Groupement des négociants internationaux (GNI), destiné à soutirer une partie du négoce du cacao aux groupes internationaux (Cargill, ADM, Olam…), a fait long feu. Des désaccords ­en particulier entre Loïc Folloroux, patron d’Africa Sourcing et inspirateur du GNI, et Sucden­, suivis de la défection de plusieurs autres membres ont poussé à la liquidation de cette structure, fin juin.

Connexions au palais ­En lieu et place, le fils de Dominique Ouattara vient de fonder le Groupement des négociants ivoiriens (GNI) avec l’appui d’entreprises locales pilotées, pour la plupart, par des figures du régime Ouattara, à l’instar de Malick Tohé, patron de la Sonemat, conseiller de Guillaume Soro et membre du défunt Comité de gestion de la filière café­cacao (CGFCC). Autre adhérent du nouveau GNI, Alassane Salifou Kadher Kandé dirige la société Miral, initialement dédiée au commerce de l’or.

En 2012, il a modifié les statuts de cette entité pour pénétrer le secteur du cacao. Kandé appartient au cercle rapproché de Kanté Koly, le président du Port autonome d’Abidjan (PAA), par ailleurs conseiller d’Alassane Ouattara. Formé à l’Ecole du bâtiment et des travaux publics à Vincennes (France), Jean Anthony Fortez, qui dirige la Sicao, évolue pour sa part dans la mouvance de la Grande Loge de Côte d’Ivoire (GLCI). Stéphane Apoque, DG de Kineden, qui a également rejoint le GNI, est proche du président de la Cour suprême, Aphing Kouassi.

Quotas ­L’objectif du GNI pour la campagne 2015­2016 vise à faire gentiment pression sur Massandjé Touré­Litsé, la DG du Conseil café­cacao (CCC), structure chargée de gérer ces deux filières stratégiques (voir notre Insiders “Les nouveaux barons du cacao”), pour mettre à disposition de ses adhérents un quota plus élevé de fèves à négocier. En décembre, le CCC avait déjà demandé aux multinationales de sous­traiter une partie de leur contrat ­ équivalent à 150 000 t de fèves­ aux opérateurs nationaux. D’autres organisations de négociants ivoiriens comme l’Unacoopex de Fulgence N’Guessan ou le Coopex­Pmiex de Raymond Koffi tentent également de récupérer une partie de ces quotas prévus dans le cadre de la réforme du secteur cacaoyer.

Business : les patrons qui rient, ceux qui pleurent

Si l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara a précipité la chute des hommes d’affaires réputés proches de Laurent Gbagbo, beaucoup d’autres se sont fait une place au soleil. Contraint de liquider sa compagnie Nouvelle Air ivoire sous la pression du régime Ouattara, l’homme d’affaires Koné Dossongui a également dû céder, au marocain Banque centrale populaire (BCP), 65% du capital de son groupe Atlantic Business International (ABI).

Mal vu à Abidjan, Dossongui préfère désormais se tourner vers l’Afrique centrale, où il compte développer des projets dans l’immobilier et dans la transformation du cacao. Il devrait notamment pour cela s’appuyer sur les réseaux de son ami Paul Fokam, patron d’Afriland First Bank. Déshérence ­Autre personnalité jadis proche du régime Gbagbo actuellement en disgrâce en Côte d’Ivoire, Charles Kader Goré, dit CKG, tente toujours de récupérer, par voie judiciaire, plusieurs de ses usines de transformation de cacao. Celles­ci ont atterri, au lendemain de la crise post­électorale, entre les mains de proches du ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko. Depuis la fin de la crise ivoirienne, CKG a relocalisé ses affaires dans le quartier chic d’East Cantonment d’Accra, au Ghana. Il s’apprête, sur financement omanais, à construire une centrale thermique à Takoradi.

Pour sa part, le Français Frédéric Lafont, ex­patron de Risk & Vision et de Sophia Airlines, s’est exilé au Maroc. Autrefois ami de William Attéby, bras droit de l’ex­première dame Simone Gbagbo, il espère se relancer au Burkina Faso.

Protection­Inversement, le régime Ouattara a permis l’ascension de nouvelles figures dans le business. Fondateur de la société Snedai, après un bref passage au gouvernement, Adama Bictogo a raflé plusieurs marchés publics dans les secteurs de la documentation biométrique et du transport lagunaire. Le frère d’Hamed Bakayoko, Zoumana Bakayoko, fondateur de la société de télécoms Swindevco, a étendu son rayon d’action en se lançant dans l’exportation de cacao (voir notre Insider “Les nouveaux barons du cacao”). Très en vogue sous Gbagbo, Mohamed Sidy Kagnassi, lobbyiste en titre du groupe français Safran­Morpho en Côte d’Ivoire, a en revanche réussi une totale reconversion sous Ouattara en créant la société de BTP SIMDCI. Son premier contrat (180 milliards FCFA) concernait la rénovation des universités publiques. Ce proche de Guillaume Soro s’est aussi rapproché d’Hamed Bakayoko, lequel aurait pesé de tout son poids auprès de la Commission électorale indépendante (CEI) pour l’attribution à Morpho du contrat de révision des listes électorales.

L’arbre généalogique de Ouattara prend racine au cœur du pouvoir

L’accession d’Alassane Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire a mis en lumière le poids des intérêts familiaux dans la gestion du pays. Oncle, frère, nièce, gendre, beau-frère… : depuis trois ans, les parents directs du chef de l’Etat ­qui est entouré de onze frères et sœurs-sont cooptés à un rythme soutenu au sein de l’exécutif, mais également à la tête d’entreprises publiques stratégiques.

Les nièces en force ­Dernier exemple de ce “syndrome Ouattara”, la nièce du président Nina Keita vient de rejoindre le ministère du budget comme conseillère chargée de la communication du ministre Abdourahmane Cissé. Dans une autre vie, elle officiait comme mannequin à New York. Elle était notamment l’égérie de plusieurs marques de cosmétiques comme Black up ou de lignes de vêtements telles qu’Old Navy. Plus qu’une nouvelle communicante appelée à intervenir sur des dossiers stratégiques, Nina Keita représentera son ministère de tutelle au conseil de gestion de l’Agence ivoirienne de presse (AIP), l’agence d’information publique du pays. Elle siègera à ce titre aux côtés de sa cousine Masséré Touré, autre nièce du chef de l’Etat, chargée de la communication au palais d’Abidjan.

Cette énième nomination d’un membre de la famille présidentielle vient compléter un arbre généalogique déjà bien garni au cœur du pouvoir. Parallèlement à l’influente Masséré Touré, le frère cadet d’Alassane Ouattara, Téné Birahima Ouattara, alias “Photocopie” en raison de sa ressemblance trait pour trait avec son aîné, règne en maître absolu à la présidence. Après en avoir été le directeur des affaires administratives et financières, il est désormais auréolé du titre de ministre des affaires présidentielles.

À ce poste, il gère aussi bien le budget du palais que les fonds souverains, l’agenda, les déplacements et les prises de rendez-vous médicaux du “chef”, voire certains dossiers sensibles relevant de la sécurité via le Conseil national de sécurité (CNS). Sherpa, Birahima Ouattara n’a été nullement inquiété dans ses prérogatives par la récente réorganisation de la présidence ayant vu l’arrivée de Philippe Serey­Eiffel et de Thierry Tanoh aux postes de secrétaires généraux adjoints. Autre membre de la fratrie, Baudin Sarrahn Ouattara, la fille de Gaoussou Ouattara, le frère aîné d’ADO, dirige toujours depuis sa nomination fin 2011 l’Agence nationale de la salubrité (Anasur). Cette entité dépend du ministère de l’environnement.

Business ­ La politique de préférence familiale s’étend au business. Oncle maternel d’ADO, Lancine Camara est le puissant président de la Société des transports abidjanais (Sotra), entreprise publique historique qui, placée sous la tutelle du ministère des transports, gère notamment les transports publics de la capitale économique. La Société de développement du tourisme de la région des lacs (Sodertour­Lacs), qui opère plusieurs établissements emblématiques dans le pays (Hôtel président à Yamoussoukro et Hôtel la paix à Daoukro), est dirigée par Malekah Mourad Condé, l’épouse d’un des neveux du président. Alors que l’ex­beau­frère d’Alassane Ouattara, Ibrahim Keita, qui fut l’époux de la petite sœur du chef de l’Etat Sita Ouattara, préside toujours la Versus Bank, le gendre Benedict Senger s’est vu subitement propulsé l’an passé à la tête de Webb Fontaine Côte d’Ivoire (WFCI), la filiale de Webb Fontaine. Déjà présent au Nigeria, ce groupe helvético­dubaïote a récupéré, au terme d’une procédure de gré à gré, le marché du contrôle et de la vérification des importations dans le pays à la barbe du français Bivac, précédemment détenteur de ce contrat. WFCI gère par ailleurs le Guichet unique du commerce extérieur (GUCE). Autant dire un poids central dans l’économie du pays.

LOIC FOLLOROUX (Armajaro négoce)

Actionnaire de référence de la société Armajaro négoce, entité désormais autonome de l’ex­négociant britannique Armajaro Trading Ltd racheté en 2013 par le suisse Ecom Agroindustrial Corp., Loic Folloroux s’apprête à lancer plusieurs opérations d’envergure dans les secteurs du cacao et des produits agricoles dans une poignée de pays africains (Ghana, Togo, Cameroun, Guinée…). A Abidjan, le fils de la première dame Dominique Ouattara et ex­patron Afrique d’Armajaro Trading continue de s’appuyer sur son bras droit Ismaël Koné. Ce dernier planifie la stratégie d’Armajaro négoce pour l’Afrique sub­saharienne.

Dominique Ouattara décroche le jackpot

Courtisée par de nombreux hommes d’affaires, la première dame ivoirienne, Dominique Ouattara, n’a pas eu trop de difficultés à mobiliser, pour son gala, les fonds destinés à équiper son hôpital de Bingerville.

Pour la seconde édition à Abidjan du gala de sa fondation Children of Africa organisé le 14 mars à l’hôtel Ivoire, Dominique Ouattara avait misé sur quelque 3,5 milliards FCFA de recettes pour équiper son complexe hospitalier de Bingerville, en banlieue d’Abidjan. Même si Alassane Ouattara n’a fait qu’une très courte apparition, la soirée animée par les “ambianceuses” Adriana Karembeu et Noémie Lenoir a permis d’approcher cette somme en partie grâce à Salma Bennani, épouse du roi du Maroc Mohammed VI. Entre un homard poché ou un dos de mérou de San Pedro à la sauce N’Gatie, celle­ci a fait un don d’un milliard FCFA avant de s’éclipser au dessert.

L’absence des patrons du CAC 40 comme Martin Bouygues, retenu à Paris pour gérer sa tentative de rachat de l’opérateur mobile SFR, a permis aux hommes d’affaires africains de s’illustrer. L’Américano­Guinéen Mamadi Diané, par ailleurs conseiller diplomatique à la présidence ivoirienne, a emporté un lot à plus de 100 millions FCFA lors de la vente aux enchères au profit de la fondation Children of Africa, tout comme le jeune Franco­Tchadien Adoum Dennis, patron du groupe éponyme proche du secteur pétrolier. Autre enchérisseur, Ousmane Diagana du groupe Mimran, propriétaire en Côte d’Ivoire des Grands Moulins d’Abidjan (GMA), a acquis un lot à plus de 200 millions FCFA. Du côté des hommes politiques, la soirée n’a donné lieu à aucune passe d’armes entre Guillaume Soro et son frère­ennemi Hamed Bakayoko, contrairement à la première édition. Privilégiant la discrétion, de nombreux autres invités ont préféré remettre leur obole sous forme de don en cash ou en chèque.

Les très bonnes affaires du clan Ouattara

Ex­directeur général adjoint du FMI, et donc garant d’une certaine “rigueur”, Alassane Ouattara n’hésite pourtant pas à rompre avec les pratiques de transparence érigées comme un sacerdoce par les institutions de Bretton Woods. Depuis son accession au pouvoir en 2011, les contrats de gré à gré pleuvent (centrale de Singrobo­Ahouaty, barrages sur la Comoé, autoroute Abidjan­Bassam…) sans que la Banque mondiale, très sourcilleuse sur cette question, ne bronche.

D’autres marchés sont tombés dans l’escarcelle de parents ou proches du chef de l’Etat, créant un profond malaise dans l’environnement des affaires. Voyage en “Côte d’Ivoire émergente”.

Les happy fews du palais ­Emblématique de cette gouvernance, le marché de contrôle et de vérification des importations a été soufflé au groupe Bivac par la société de Dubaï Webb Fontaine, dans des conditions que le premier n’a toujours pas digéré.

À Abidjan, la filiale de Webb Fontaine est dirigée par Benedict Senger, époux de Fanta Catherine Ouattara, la fille du chef de l’Etat. De telles relations de parentèle dans les affaires s’étendent à des conseillers influents du palais, qui n’hésitent pas à user de leur proximité avec le “chef”. L’un d’eux, Koly Kanté, par ailleurs actionnaire de référence de la Société des cimenteries d’Abidjan, voit cette entreprise bénéficier de contrats de l’Etat. Autre conseiller à la présidence, Mamadi Diané a introduit le groupe roumain Timis en Côte d’Ivoire via son cabinet de lobbying Amex. Les filiales Pan African Minerals et African Petroleum de ce groupe fondé par Frank Timis multiplient les chantiers, dont la réhabilitation de la ligne Abidjan­Ouagadougou.

À la tête d’ACE­CI depuis 2011, Daouda Gon Coulibaly, le frère du secrétaire général de la présidence Amadou Gon Coulibaly, s’épanouit sur les marchés de contrôle­qualité de plusieurs filières agricoles, dont celle du cacao. Heureux ministres ­Les ministres ne sont pas en reste. Un réseau dense de patrons gravite autour de l’un des plus fidèles soutiens du président Ouattara, le ministre de l’intérieur Hamed Bakayoko, à commencer par son frère Zoumana Bakayoko.

Ce dernier, actionnaire de la société spécialisée dans les infrastructures de télécoms Swindevco, a introduit en Côte d’Ivoire le Franco­Libanais Philippe Nakad, patron d’Agro West Indutries. Hamed Bakayoko a lui-même ouvert les portes du pays au Turc Nihat Ozdemir, président de Limak Group of Companies. Ce groupe vise la construction de centrales hydroélectriques sur le fleuve Sassandra. Pour sa part, après avoir créé coup sur coup Stylus Sarl et Tanassa Technologies en 2012, entités spécialisées dans l’intermédiation financière et la biométrie, Bintou Toungara Kamara, la fille du ministre de l’énergie et du pétrole Adama Toungara, travaille aux côtés de la Petroci et de la SIR.

Patrons cadeautés ­La Côte d’Ivoire de Ouattara restera dans les annales pour avoir évincé un membre du gouvernement suspecté de détournement de fonds publics sans que ce dernier ne soit inquiété par la justice. Mieux, Adama Bictogo, ex­ministre de l’intégration africaine proche de la première dame Dominique Ouattara, réalise de nombreuses opérations dans le secteur lucratif de la biométrie via sa société Snedai. Il s’appuie aussi sur ses relais à la présidence ivoirienne pour introduire des intérêts turcs, à l’instar du Yildirim Group qui va ouvrir une filiale à Abidjan en vue de concurrencer la société de transport Sotra.

Toute la fratrie Bictogo s’implique autour du “grand frère” Adama. Moumouni Bictogo et Salif Bictogo ont ainsi fondé la firme minière Lagune exploration, détentrice de plusieurs permis aurifères. Mohamed Sidi Kagnassi est une autre “singularité”. Cet homme d’affaires en vogue sous le régime de Laurent Gbagbo et proche de Guillaume Soro a su rebondir grâce à son entregent. Du jour au lendemain, il est devenu un magnat du BTP sans posséder aucune société dans ce secteur. Après avoir décroché le marché de la réhabilitation des universités ivoiriennes, il a opportunément fondé la SIMDCI (LC no677). Il négocie actuellement un contrat pour la construction de 10 000 classes.

Ces familles qui règnent à Abidjan

En politique comme dans les milieux d’affaires, les grandes familles influentes de Côte d’Ivoire continuent de régner sans trop d’encombre. Galerie de portraits.

Membre de la plus célèbre des familles ivoiriennes ­celle du père de l’indépendance Félix Houphouët­ Boigny ­, Guillaume, l’un des fils du “Vieux”, prospère depuis des années dans les affaires. Il a notamment bâti le prestigieux immeuble Jeceda ­ du nom de ses enfants Jean, Cécile et David ­ au cœur du quartier du Plateau d’Abidjan. Profitant de la situation du patriarche Henri Konan Bédié, alias “HKB”, les enfants de l’ex­président défait en 1999, mais qui a joué un rôle central durant la crise postélectorale, occupent des postes convoités. Son fils Jean­Luc Bédié est conseiller spécial chargé de l’économie et des finances à la présidence ivoirienne. Lucette, l’une des filles du “Bouddha de Daoukro”, est DGA de la Société des palaces de Cocody (SDPC), qui gère les complexes hôteliers de l’Etat. Autre fils, Patrick Bédié, fait carrière dans le négoce du café­cacao. Patron de la division Afrique du trader suisse Novel Commodities, il a récemment étendu ses activités au riz.

La famille d’Alassane Ouattara n’est pas en reste depuis son arrivée au pouvoir. Le frère cadet Ibrahima Ouattara, dit “Photocopie”, cumule ses fonctions d’élu avec celles de ministre chargé des affaires présidentielles au palais d’Abidjan. Nièce du chef de l’Etat, Masséré Touré gère pour sa part la communication de ce dernier. Dans le sillage de son époux, Dominique Ouattara a également placé ses enfants et ses frères.

Son fils Loïc Folloroux pilote le département Afrique du trader Armajaro. Le frère Marc Nouvian a fondé la Société négoce internationale de Côte d’Ivoire (Soneici), qu’il dirige avec sa sœur Noelle Nouvian. Autre frère de la première dame, Philippe Nouvian dirige le cabinet Gemco (maîtrise d’ouvrage, gestion immobilière, intermédiation financière) et possède plusieurs marchés en Côte d’Ivoire.

Du côté de la famille Billon, Jean­Louis a dirigé, à partir de 2011, le groupe familial Sifca, premier groupe privé ivoirien fondé par son père Pierre Billon Ouattara, un proche d’Houphouët­Boigny. Il a renoncé à ses mandats sociaux au profit de son frère Pierre, suite à sa nomination, fin 2012, comme ministre du commerce. David, un autre de ses frères, dirige la société Sivom. Son beau-père Charles Providence Gomis est l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France.

Enfin, aux côtés des Donwahi ou des Yacé, la famille d’Amadou Thiam, ex­ministre de l’information d’Houphouët­Boigny, reste également incontournable dans le paysage ivoirien. L’un de ses fils, Augustin, est gouverneur de Yamoussoukro. Parmi ses autres fils, Daouda occupe le poste stratégique de conseiller chargé des ressources naturelles à la présidence, tandis qu’Abdel Aziz poursuit sa carrière dans le privé au sein du groupe maritime Necotrans.

Source : La Lettre du Continent

Source: Le Reporter

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