Des tricots laineux en poil de chien
Carole Gauthier a toujours été fascinée par les tissus, leur texture, leur fabrication, un attrait qui l’a jadis amenée à faire sa robe de mariée et les robes de bal de ses filles. Récemment, elle s’est initiée au filage et au tissage de la laine. Et là, sans qu’elle s’en rende trop compte, ce qui était un loisir pour la technicienne comptable vient de changer sa vie.
Publié le 2 janvierPierre Gingras Collaboration spécialePour Mme Gauthier, le mot laine ne correspond pas à la définition courante : fibre à croissance continue provenant de la toison du mouton, indique le Larousse, qui ajoute aussi comme origine d’autres mammifères comme le lapin, la chèvre, le yack ou l’alpaga. Carole Gauthier, elle, tire sa laine du meilleur ami de l’homme, le chien.
1/3« Quand je me suis intéressée sérieusement au filage de la laine, j’ai réalisé qu’en France, on filait parfois le sous-poil des chiens pour en faire un fil qui pouvait être tissé ou tricoté. Faire une tuque, des mitaines ou un sac comme souvenir avec le poil de son chien ou encore de son chat. J’ai trouvé l’idée séduisante. »
Souvenir animal
Elle s’initie alors au filage complexe de poil de chien sur un vieux rouet et, de fil en aiguille, affine sa technique. Puis l’idée trouve écho chez certains propriétaires de chien (et même de chat) ainsi que chez ses amis membres de l’Association des fileurs et fileuses du Québec, qui lui envoient des clients. Au point que tous ses loisirs, samedis et dimanches compris, sont désormais consacrés à filer et à tricoter. « Je suis devenue une spécialiste du souvenir animal », lance-t-elle dans un éclat de rire.
En janvier dernier, elle a même acheté un salon de toilettage à Saint-Hyacinthe pour s’assurer un revenu, rester en contact avec les animaux et se consacrer à temps plein à la laine de chien.
C’est mon projet de semi-retraite. Un coup de cœur, pas une décision vraiment logique. Mais je ne le regrette pas une seconde.
Carole Gauthier
Le sous-poil est ce duvet au rôle thermique que l’on recueille quand on brosse son chien. Sa texture fine et soyeuse permet d’en faire un tissu très agréable au toucher, comme l’a constaté La Presse, plus chaud que la laine de mouton et même un peu hydrofuge, fait valoir Mme Gauthier. Il faut au moins de 100 à 150 g de poil pour faire une tuque, par exemple, ce qui peut exiger de nombreux brossages et s’étaler sur quelques mois. On utilise la toison des chiens à pelage long, mais Mme Gauthier file aussi le poil de garde, celui qui couvre l’animal. Le tissu est cependant trop rude pour être porté sur la peau.
Aujourd’hui, la matière première lui vient de dizaines de clients d’un peu partout au Québec, et elle doit même confier certains projets à des amis, faute de temps. Comme toute création artisanale, le prix varie selon l’ampleur du travail. Une cardeuse électrique lui permettra sous peu d’alléger son travail. Mais pas question toutefois de se lancer dans la confection de vêtements comme en Allemagne, insiste-t-elle. « Mon objectif est d’offrir un souvenir unique à ceux qui ont un lien affectif avec leur animal de compagnie. »
Consultez le site du salon Du toilettage O’filAilleurs dans le monde
Le Chiengora allemand
Créée l’an dernier, la firme allemande Modus Intarsia recueille, tisse, fabrique et commercialise la laine de chien. L’entreprise a d’ailleurs enregistré son produit fini sous le nom de Chiengora, un clin d’œil à la laine angora du lapin ou de la chèvre du même nom et dont la douceur est comparable. Le terme Intarsia réfère d’ailleurs à une technique particulière de tissage. La maison offre une grande gamme de produits, du foulard à la veste en passant par le coussin ou les chaussettes. Elle s’appuie sur un vaste réseau de collecte impliquant propriétaires de chiens et salons de toilettage, en plus de faire appel aux importations. Les profits de l’entreprise sont versés en partie au bien-être animal, selon le site web.
Consultez le site de Modus IntarsiaLe chien laineux des Salish
Le chien laineux des Salish demeure probablement une exception historique dans la longue relation entre l’homme et les canidés. Tisserands réputés, les Salish regroupent une quarantaine de nations autochtones, la majorité sur la côte de la Colombie-Britannique, notamment dans le sud de l’île de Vancouver. Ils ne pratiquaient pas l’agriculture, mais élevaient des chiens en grand nombre spécifiquement pour leur toison, qu’ils tissaient pour en faire des vêtements recherchés. Les couvertures en poils de chien, notamment, étaient le symbole d’une situation sociale enviable. D’ailleurs, on évitait tout croisement du chien laineux avec d’autres races pour conserver la texture frisée et la couleur blanche de sa fourrure.
1/2Publiée en décembre 2020 dans le Journal of Anthropological Archaeology, une recherche menée notamment dans plusieurs sites archéologiques côtiers de l’île de Vancouver a démontré qu’en dépit de sa petite taille, le poil du chien laineux était beaucoup plus abondant que celui de ses vis-à-vis plus gros, les chiens de chasse ou de garde, une situation soulignée par plusieurs explorateurs, dont George Vancouver. La tradition millénaire s’est maintenue jusqu’à l’arrivée de la laine et des métiers à tisser d’outre-mer. La race de chien laineux est maintenant considérée comme éteinte.