Récit : La malédiction des Bhutto, « les Kennedy du Pakistan »

13/08/2022 Par acomputer 615 Vues

Récit : La malédiction des Bhutto, « les Kennedy du Pakistan »

Elle, la belle Fatima aux gestes amples, c’est la scribe cosmopolite de la tragédie familiale, à défaut de vouloir entrer en politique, malgré les appels pressants. « Le pouvoir est une machine dangereuse », lâche-t-elle devant ses amis. Son père, Murtaza – « un papa merveilleux », dit-elle – est l’un de ses suppliciés : accusé d’avoir participé à des attentats, il est lui-même tombé sous les balles devant la demeure des Bhutto. Sa tante, Benazir, est une autre victime du sort jeté sur le clan : surnommée « BB » ou « Pinky » pour le rose de ses vêtements, elle fut la première femme à diriger un pays musulman, à 35 ans. Son époux, Asif Ali Zardari, incarne aujourd’hui la figure du corrompu. Les Pakistanais l’appellent « Mister 10 % » pour sa propension notoire à prélever une dîme sur les grands contrats d’État.

Le fils d’Asif Ali Zardari et de Benazir Bhutto, Bilawal, a 25 ans et une gueule d’acteur de Bollywood ; en 2007, il a pris la présidence du Parti du peuple pakistanais (PPP), fondé par le grand-père. Dans ses dernières volontés, Benazir l’avait voulu ainsi. Il a cependant la réputation d’un « fils de » sans charisme, d’un Rastignac aux ambitions fragiles, sans doute à cause des périls. Diplômé d’histoire à Oxford et ceinture noire de taekwondo, Bilawal préfère les soirées mondaines londoniennes aux joutes oratoires dans son pays. L’équivalent pakistanais des Guignols de l’info le compare à Jackie Chan. Ses fans préféreraient le voir sur un stade de cricket, sport le plus populaire du pays, plutôt que sur un tatami ou dans les manèges d’équitation. Dans la bataille pour la succession, il ne marque aucun point. Il a beau clamer : « Ma mère a toujours dit que la démocratie est la meilleure des revanches », sa pratique hésitante de l’ourdou le contraint à apprendre ses rares discours par cœur. Il ne manque toutefois pas de répondant. À qui lui promet, sur Twitter, un destin de shahid, il répond du tac au tac : « Si Dieu le veut… » Le parti, lui, ne l’entend pas ainsi et préfère le garder en réserve. Le PPP n’a plus de populaire que le nom : il est aux mains des sardars, ces grands propriétaires fonciers qui asservissent les paysans assujettis à des dettes héritées de leurs parents. Pour cela aussi, l’héritage est difficile à assumer. Pour l’heure, Bilawal veut lancer une fondation Benazir en mémoire de sa mère.

Les dictateurs et l’as du squash

Récit : La malédiction des Bhutto, « les Kennedy du Pakistan »

Fatima a choisi : elle dénoncera par l’écriture les travers de cette nation ingérable, née en 1947 de la partition du Raj, l’empire des Indes britanniques. À 15 ans et des poussières, elle composait déjà un recueil de poèmes virulents, Whispers of the Desert (Presses universitaires d’Oxford, 1998). Elle a ensuite publié un récit de la tragédie familiale. Beaucoup en prennent pour leur grade, à commencer par Benazir qu’elle détestait de son vivant parce qu’elle la jugeait responsable de la mort de son père, Murtaza.

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Jusqu’à une date récente, la vie de Fatima Bhutto n’a été qu’une longue errance pour échapper au pire. Née à Kaboul en 1982 d’une mère afghane, alors que son père était en exil, elle a rejoint Damas pour un appartement sans charme du vieux quartier de Mazzeh. Le père et l’enfant voguaient d’escale en escale au gré des humeurs de dignitaires ou de dictateurs. Murtaza a fui les sicaires lancés à ses trousses par les services secrets du Pakistan. C’est à l’ombre de ces complots et de ces peurs que Fatima a grandi. En 1985, âgée de trois ans, elle a appris la mort de son oncle Shahnawaz, ami de l’avocat français Jacques Vergès et habitué des casinos de la Côte d’Azur, mystérieusement empoisonné à Cannes. Sans avoir eu besoin de lire Shakespeare, elle s’est nourrie de débats endiablés avec des exilés aux mines de conspirateurs, des inconnus qui s’invitaient auprès de son père, sûrement des agents à la solde de tel raïs ou dictateur, du Syrien Hafez el-Assad, père de Bachar, au Libyen Mouammar Kadhafi. Pour oublier, elle regardait des films sur la mafia. Pendant ce temps, Murtaza, devenu un as du squash, a tenté de lui enseigner l’insouciance. à Damas, il jouait avec elle au bord de la piscine, l’avait inscrite dans une école américaine, la Community School, et la forçait à suivre des cours dans une petite académie de ballerines où il rencontra sa future femme, la belle danseuse libanaise Ghinwa. À l’adolescence, Fatima avait le blues au corps, la nostalgie d’un pays d’origine qui n’existait pas et l’envie d’en découdre avec le monde.