Les Anges et le démon : les sombres liens entre Jeffrey Epstein et Victoria’s Secret
Dans le procès de Ghislaine Maxwell, accusée d’avoir été le recruteur du prédateur sexuel Jeffrey Epstein, il manque un nom, celui de l’une des marques les plus célèbres de la planète : Victoria’s Secret, la ligne de lingerie fondée en 1977 à San Francisco par Roy Raymond. Le lien entre les «angels» en soutien-gorge incrusté de diamants et Epstein ? Un mystérieux milliardaire, génie du commerce de détail – le «retail» -, nommé Les Wexner, propriétaire de la marque depuis 1982.
«Jeffrey Epstein a eu le contrôle de la fortune de Wexner, estimée à 7 milliards de dollars, pendant 17 ans, à partir de la fin des années 1980», affirme le journaliste d’investigation de Vanity Fair, Gabe Sherman. Les Wexner aurait payé Epstein des centaines de millions de dollars afin qu’il gère sa fortune. Le milliardaire est, de ce fait, à la source de celle de l’homme d’affaires, sans que l’on comprenne d’où ce dernier tenait autant de pouvoir. On y reviendra.
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«L’argent que générait Victoria’s Secret, c’est précisément ce qui a financé les trafics sexuels d’Epstein. C’est la dernière pièce du puzzle de l’affaire Epstein», explique Gabe Sherman. Mieux, selon Vanessa Grigoriadis, coauteure du podcast Fallen Angel sur la culture établie par la marque de lingerie, cette dernière a influencé le rapport des Américaines à la sexualité. Pire, elle a largement contribué à la sexualisation des adolescentes et des pré-adolescentes.
Naissance d'un empire
Mais revenons aux débuts. La première boutique Victoria’s Secret ouvre en 12 juin 1977 dans le Stanford Shopping Center, un «mall» dans le sud de San Francisco. Roy Raymond a expliqué que l’idée lui était venue parce qu’il était las de la banalité de ce qu’il trouvait au rayon lingerie lorsqu’il voulait acheter des sous-vêtements à sa femme, Gay. Pendant huit ans, il étudie méthodiquement le marché du sous-vêtement avant de lancer sa propre marque, et publie un catalogue qui devient un phénomène culturel. Lorsqu’il vend son entreprise à Les Wexner pour 1 million de dollars, Victoria’s Secret possède cinq boutiques et réalise un chiffre d’affaires de 6 millions de dollars. La marque n’est qu’un acteur marginal de ce secteur. Wexner va transformer l’affaire en un empire, avec 350 boutiques et un chiffre d’affaires annuel d’1 milliard de dollars. En 2002, le roi du retail va même lancer une nouvelle marque, PINK, à destination des teenagers.
Mais qui est Les Wexner, l’homme le plus riche de l’Ohio, propriétaire d’une autre marque célèbre, Abercrombie & Fitch ? Cet homme né en 1937 – il a 85 ans – a lancé en 1963 sa première boutique The Limited, dans sa ville de Columbus, dans l’Ohio. «J’ai créé mon business pour pouvoir créer mon propre monde», a expliqué Wexner au New York Times. Des années plus tard, celui qui se rêvait architecte achète des milliers d’hectares autour de Columbus pour y faire construire une fantaisie, son propre village inspiré d’un village de l’époque géorgienne. C’est en 1986 que Les Wexner rencontre Jeffrey Epstein. Bien que tous les proches du milliardaire le mettent en garde, il tombe sous la coupe du prédateur. Leur relation est si fusionnelle - et inexplicable – qu’en 2008, lors du premier procès de Jeffrey Epstein en Floride, Brad Edwards, l’avocat de l’une de ses victimes, demandera officiellement à l’homme d’affaires si sa relation à Les Wexner est d’ordre sexuel. Ce qu’Epstein niera. Elle sera au moins financière : en 2019, le Wall Street Journal a estimé que sa relation avec Wexner avait rapporté à Epstein 200 millions de dollars. Jerry Merritt, responsable de la sécurité de The Limited pendant 25 ans, estime, lui, la somme à 400 millions de dollars.
À écouter : le podcast de la rédaction
Cercle vicieux
Le lien entre les deux hommes n’est pas seulement financier. Il est double. «L’homme qui a fait la fortune de Jeffrey Epstein est aussi celui qui vendait de la lingerie aux jeunes filles et jeunes femmes que convoitait Epstein», analyse Vanessa Grigoriadis dans son podcast Fallen Angel. C’est le cercle vicieux parfait : la marque qui a fait la fortune d’Epstein est aussi celle qui a préparé les jeunes filles à être ses proies. D’ailleurs, ce dernier s’en sert pour les dénicher.
En 1993, un des responsables de Victoria’s Secret s’inquiète auprès de la PDG du catalogue de la marque, Cynthia Fedus-Fields, qu’un certain Jeffrey Epstein se fasse passer pour «recruteur» auprès de jeunes modèles désireux d’y apparaître. Et en 1997, une aspirante mannequin, Alicia Arden, est allé déposer à la police de Santa Monica, en Californie, qu’elle avait été agressée dans sa chambre d’hôtel par Epstein affirmant qu’il recrutait des modèles pour le célèbre catalogue. Victoria’s Secret était le véritable secret de Jeffrey Epstein. Un nouveau revers de fortune pour la marque, dont la réputation est en chute libre depuis quelques années. Dont on ne sait si elle parviendra à se relever.