Les bactéries des espèces fruitières: des biopathogènes parfois sous-estimés mais d’une nuisibilité incontestable
Parmi les différents groupes de bio-agresseurs de nos espèces fruitières, les bactéries sont parfois considérées comme économiquement peu importantes. Il est vrai que, en comparaison avec les insectes et les maladies cryptogamiques, leur nombre est beaucoup moins important et que, avec des températures modérées, nos conditions climatiques leur sont moins favorables que des climats chauds et humides.
Cette façon de voir les choses a été quelque peu mise en cause lorsque, dans les années 1970, toute l’Europe fut infectée par le feu bactérien des Rosacées (Erwinia amylovora) qui bouleversa la vie des producteurs de poires. Ils durent, pour commencer, « encaisser » un choc brutal, puis apprendre à combattre et à vivre avec ce ravageur qui était nouveau chez nous.
Mieux connaître les bactéries
Les bactéries sont des organismes unicellulaires de très petite taille (0,2 à 10 µm) qui vivent isolés ou associés en groupes. Ils sont caractérisés par l’absence de membrane autour du noyau. Leur forme est très variable : sphérique, en bâtonnet, en spirale… ; le plus souvent avec un ou plusieurs flagelles qui assurent leur mobilité en milieu liquide. Les bactéries pathogènes infectent les plantes via une blessure (frottement de deux tiges, dégâts de grêle ou de gel, cicatrices foliaires, plaies de taille…) ou des ouvertures naturelles comme les stomates des feuilles, les lenticelles et les nectaires des fleurs.
Sur le feuillage, les principaux symptômes sont des taches décolorées ou translucides (= « huileuses »), ou une pourriture des tissus. Dans le système vasculaire des plantes, leur prolifération empêche la circulation de la sève, avec comme conséquences un flétrissement général de la partie sus-jacente, ou la production d’un exsudat ou de gomme. Dans d’autres cas, les bactéries provoquent une multiplication anarchique des cellules de la plante, qui formera des galles, des tumeurs, de nombreuses radicelles ou des broussins.
Leur dissémination peut être assurée de diverses manières : la pluie, le vent, le contact d’animaux, l’homme (ses vêtements et ses outils), des fragments de plantes infectées… véhiculent des gouttelettes ou des filaments porteurs de bactéries.
Ce sont des organismes qui dépendent de conditions ambiantes chaudes et humides, et dont la multiplication est alors très rapide. On cite des taux de multiplication de l’ordre de 10.000 générations en 145 jours !
Il existerait plus de 300 bactéries responsables de maladies des végétaux. Leur nomenclature est latine : Famille – Genre – Espèce – Variété ou Pathovar (pv.) pour les bactéries pathogènes.
Les bactéries pathogènes des espèces fruitières
Les bactéries pathogènes des espèces fruitières des régions tempérées se rencontrent dans quatre genres : Agrobacterium, Erwinia, Pseudomonas et Xanthomonas.
Certaines d’entre elles infectent plusieurs espèces végétales, comme Agrobacterium tumefaciens ou Erwinia amylovora. D’autres, par contre, ont des pathovars liés à une seule espèce fruitière : par exemple Xanthomonas arboricola (= campestris) pv. juglandis chez les noyers, et pv. corylina chez les noisetiers.
Comme nous le verrons, les moyens de lutte contre les bactérioses de nos espèces fruitières sont peu nombreux, et d’une efficacité parfois très partielle. Ils se limitent à des mesures culturales préventives comme la prophylaxie – éviter d’importer des plantes infectées, ne pas cultiver dans des parcelles suspectées d’avoir été infectées auparavant, enlever et détruire les plantes ou parties de plantes infectées – et de rares interventions phytosanitaires pour lesquelles le nombre de produits chimiques utilisables se réduit aux composés cupriques et quelques autres. De manière générale, une alimentation excessive des plantes en azote est un facteur qui augmente la sensibilité des plantes aux infections bactériennes.
Agrobacterium tumefaciens : la galle du collet ou crown gall
Cette bactérie qui vit dans le sol infecte de très nombreuses espèces végétales : plus de 640 espèces, dont la plupart des espèces fruitières, via des blessures ou des lenticelles. Elle est disséminée par les eaux de pluie, de ruissellement ou d’irrigation, par les animaux ou l’activité des hommes.
De manière générale, elle provoque un affaiblissement de la vigueur des plantes. Elle désorganise la division cellulaire, et ainsi provoque la prolifération des tissus. Ceux-ci prennent alors la forme de tumeurs lignifiées de forme irrégulière sur les racines et les tiges. Sa persistance dans le sol est de plusieurs années. Son incidence est plus grande dans des sols lourds et humides, ou encore riches en azote.
Il existe plusieurs variétés biologiques (= biovars) ; les biovars 1 et 2 sont répandus sur diverses espèces végétales, tandis que le biovar 3 est principalement infectieux pour les vignes.
La galle du collet est fréquente dans les pépinières, où elle est introduite en plantant des sujets porte-greffe ou des boutures infectés. Par la suite, une très longue rotation est indispensable. Lors de la plantation d’arbres, il est conseillé de procéder à l’habillage des racines quelques jours auparavant afin de laisser les plaies se dessécher. Les tumeurs enlevées doivent être brûlées.
Il existe une méthode de lutte qui recourt à une bactérie antagoniste, Agrobacterium radiobacter souches K84 et K1026, qui produit un antibiotique. Elle s’utilise par trempage des plants avant la plantation.
Agrobacterium rhizogenes : la galle chevelue
Comme son nom l’indique, cette bactérie proche de la précédente provoque la formation désordonnée d’un abondant chevelu de racines sur des tumeurs des racines ou des tiges. Elle affecte principalement les pommiers, les poiriers et les pruniers.
Erwinia amylovora : le feu bactérien des Rosacées ou fire-blight
Cette maladie a été décrite sur la côte Est des États-Unis à la fin du 18è siècle, d’où elle a gagné la Nouvelle-Zélande en 1919, puis l’Angleterre en 1957 sur des fruits infectés provenant de l’Hémisphère Sud. Elle s’est implantée dans les vergers de poiriers du Kent et dans des jardins de la région de Londres, où des plantes ornementales de la famille des Rosacées ont servi de réservoir : par exemple des aubépines ou des cotonéasters.
Un peu d’histoire
Au début des années 1970, la présence de feu bactérien est observée localement sur la rive Ouest du continent européen : Danemark, Pays-Bas, Belgique, Nord de la France…, probablement amenée d’Angleterre par des oiseaux migrateurs.
Les spécialistes prédisaient que la maladie s’étendrait rapidement lorsque les conditions climatiques d’une année lui seraient particulièrement favorables. Ce fut le cas dix ans plus tard, en 1981, dans plusieurs vergers de poiriers proches de grandes haies d’aubépines non entretenues. Son extension dans tout le pays se poursuivit en 1982.
Un peu de biologie
Le feu bactérien infecte la partie aérienne de diverses plantes des familles des Rosacées et des Malacées sauvages, ornementales ou fruitières : Crataegus, Pyracantha, Cotoneaster, Stranvaesia, Pyrus, Malus, Cydonia, Sorbus et Eriobotrya. Elle provoque un dessèchement brutal de parties ou de la totalité de la ramure qui semble avoir été brûlée par un feu très vif.
La bactérie hiverne à la lisière de chancres développés sur des rameaux. Au printemps, avec la hausse de la température, par temps humide, ces chancres émettent un exsudat : des gouttelettes ou des filaments sont disséminés par le vent, la pluie, les animaux ou le personnel circulant dans le verger. Le rôle des abeilles butineuses fait l’objet de controverses. Les infections se produisent via des orifices naturels : stomates, lenticelles, blessures diverses, et par les fleurs dans le cas des fruits à pépins.
Pour les pommiers et les poiriers, plusieurs méthodes de prévision des émissions ont été proposées. Elles se basent sur la mesure de la somme des températures au-dessus d’un seuil fixé à 18,5ºC, des pluies et de la durée d’humectation du feuillage. En Belgique, comme le début des émissions de bactéries se situe en général après la fin de la floraison principale des poiriers, les risques d’infections florales sont réduits. Mais il reste un risque d’infection des floraisons secondaires, plus tardives. D’autre part, un réchauffement du climat pourrait amener une augmentation des risques.
Les mesures à prendre
Chez nos arboriculteurs, l’impact psychologique du feu bactérien fut énorme, puisque les premières mesures prises ont consisté à arracher ou à mutiler des poiriers qui, pour le reste, étaient en parfait état, après avoir consacré beaucoup de temps tout au long de la saison à détecter les moindres symptômes.
Il fallut apprendre à vivre avec le feu bactérien, en prenant dans les vergers ainsi que dans l’environnement direct différentes mesures préventives pas toujours bien acceptées ou bien comprises. C’est le cas notamment en ce qui concerne les haies d’aubépines, qu’il était demandé de tailler afin qu’elles ne fleurissent pas, et non d’arracher. De plus, les nombreuses aubépines présentes dans la nature dans certaines régions sont un réservoir permanent d’inoculum. Sur les poiriers, les floraisons secondaires doivent être enlevées.
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— New York Post Sun Jul 18 18:39:17 +0000 2021
Un autre souci est venu des poiriers haute-tige non ou peu entretenus, qui étaient une source d’inoculum pendant quelques années, avant leur dépérissement complet. En arboriculture d’ornement, on cessa la vente et la plantation des cotonéasters à grandes feuilles.
Dans la lutte chimique, on recourut à la streptomycine qui, bien que très efficace, avait donné lieu aux États-Unis à l’apparition de souches de bactéries résistantes lorsqu’elle était appliquée fréquemment (jusqu’à 10 traitements par saison !). Le cuivre (hydroxyde, sulfate, oxychlorure…) était bien connu pour son effet bactéricide, et des applications préventives pendant la période critique que constitue la floraison des poiriers ont donné des résultats satisfaisants. Mais l’utilisation répétée de ce produit peut provoquer une réaction phytotoxique sur les poiriers, et elle peut affecter l’activité de la faune du sol. Un fongicide, le Phoséthyl-aluminium, s’est révélé également efficace pour la protection des poiriers pendant la floraison.
Parmi les mesures prophylactiques, citons la désinfection des outils de taille à l’aide d’antiseptiques (Dettol, par exemple).
Depuis les années 1990, le recours à plusieurs bactéries antagonistes, par exemple Erwinia herbicola et Pseudomonas fluorescens a fait l’objet de nombreuses recherches, principalement aux États-Unis, ainsi qu’en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni.
Sensibilité et résistance au feu bactérien
La sensibilité des rameaux et des fleurs des variétés fruitières actuelles à plusieurs souches de feu bactérien a fait l’objet de diverses évaluations. En ce qui nous concerne, les poiriers ‘Beurré Alexandre Lucas’, ‘Beurré Giffard’ et ‘Beurré Hardy’, ainsi que les pommiers ‘Belle de Boskoop’ et ‘Golden delicious’ se sont révélés les plus résistants.
À l’inverse, les poiriers ‘Beurré Durondeau’, ‘Comtesse de Paris’, ‘Passe Crassane’ et ‘Triomphe de Vienne’ et les pommiers ’Cox’s Orange Pippin’, ‘Gloster’, ‘Idared’, ‘James Grieve’, et ‘Tydeman’s Early’ sont parmi les plus sensibles. Les poiriers ‘Louis Bonne d’Avranches’, ‘Légipont’, ‘Conférence’ et ‘Doyenné du Comice’, et les pommiers ‘Alkmene’, ‘Elstar’, ’Gala’, ‘Jonagold’, ‘Melrose’ et ‘Pinova’ ont une résistance intermédiaire.
La solution du problème réside dans la création de variétés de poires et de pommes résistantes. La résistance au feu bactérien est devenue un critère important de sélection des nouveautés. Au stade actuel, la Station de recherches canadienne de Harrow a diffusé plusieurs variétés de poires d’automne résistantes.
Pseudomonas syringae
Le genre Pseudomonas compte une soixantaine d’espèces. Pseudomonas syringae se rencontre sur une grande diversité de plantes-hôtes, auxquelles correspondent des pathovars différents : pv. syringae sur plusieurs espèces fruitières, pv. mors-prunorum sur les cerisiers, pv. persicae sur les pêchers, pv. actinidiae sur les kiwis, les abricotiers et parfois les cerisiers. Souvent y est associée l’espèce Pseudomonas viridiflava.
Chez les espèces à noyau, on remarque sur la ramure des chancres avec émission de gomme, puis plus tard, après l’hiver, la mort des branches infectées ; sur les espèces à pépins, un dessèchement des bouquets floraux et des jeunes rameaux, ainsi que des taches chlorotiques du feuillage.
La bactérie hiverne dans des rameaux infectés, puis elle est dispersée par la pluie et le vent ; elle semble favorisée par un temps humide, mais froid. L’infection se fait via des orifices naturels et des blessures : la chute des feuilles chez les espèces à noyau, le gel printanier chez les poiriers et les kiwis.
La lutte consiste à protéger les plaies des risques d’infection par des traitements au cuivre. Elles sont les plus nombreuses après un orage avec de la grêle et surtout lors de la chute des feuilles.
Xanthomonas spp.
Plusieurs pathovars de Xanthomonas arboricola (= campestris) infectent des espèces fruitières et provoquent des nécroses du feuillage, des tiges et des fruits, ou un flétrissement de la plante suite à une infection de son système vasculaire.
Chez les noisetiers, le pv. corylina produit des dessèchements des jeunes pousses au printemps, sur des plantes jeunes ou encore en pépinières. Chez les noyers, le pv. juglandis produit des taches huileuses sur les feuilles, un dessèchement des jeunes pousses, des taches noires nécrotiques des bogues et la chute des fruits. Chez les fruits à noyau, le pv. pruni occasionne une criblure et la chute des feuilles.
La lutte consiste en plusieurs traitements au cuivre après une longue période humide.
Xanthomonas ampelina = Xylophilus ampelinus est la « Maladie d’Oléron » qui infecte les vignes européennes. Elle provoque des nécroses allongées brunes sur un secteur des sarments, et un dépérissement lent. En France, c’est un organisme de quarantaine dont la déclaration aux Autorités est obligatoire. Elle semble favorisée par une forte humidité du sol.
On conseille la désinfection des outils de taille et le traitement des plaies au cuivre ainsi que l’incinération du bois de taille. Après arrachage des plants infectés, attendre plusieurs années avant de replanter.
D’autres bactéries nuisibles ou utiles en arboriculture
Les bactéries glaçogènes
Lors des gelées tardives printanières, avec une température négative, l’eau pure reste en surfusion jusque -4ºC. Peudomonas syringae présent sur des poiriers joue le rôle de noyaux de cristallisation, avec formation de glace sur les jeunes tissus, puis se produisent des infections et des nécroses des bouquets floraux via les blessures dues au gel.
Fatigue spécifique du sol
Lors de la replantation de pommiers après pommiers, la bactérie Pseudomonas fluorescens qui s’est développée sur les résidus des racines émet dans le sol des substances toxiques qui freinent la croissance des nouveaux arbres. La persistance du phénomène est de plusieurs années.
Bactéries antagonistes de bactéries
Des recherches en cours visent à utiliser des bactéries antagonistes du feu bactérien, qui seraient véhiculées par des insectes butineurs (abeilles, osmies, bourdons…) par exemple à partir de ruches.
La bactérie Bacillus amyloliquefaciens QST 713 est agréée pour lutter contre les infections florales de Pseudomonas sur cerisiers. Cette bactérie est présente dans le sol et dans les fleurs.
Bactéries antagonistes de champignons
Une souche de Pseudomonas syringae permet de prévenir des pourritures de fruits pendant la conservation. Son nom commercial est « Bio Save 110 ».
Bactéries entomopathogènes
Le genre Bacillus compte plusieurs espèces utilisées pour combattre différents insectes phytophages : après ingestion de feuillage porteur de Bacillus thuringiensis, l’insecte meurt suite à la destruction de son système digestif.
Bactéries fixatrices d’azote
Plusieurs espèces de bactéries jouent un rôle indirect dans la fourniture d’azote aux espèces fruitières.
Les Rhizobium (= Bacillus radicicola) vivent en symbiose dans des nodosités qui se développent sur les racines des légumineuses (= Fabacées), de l’azote qui leur est fourni par celles-ci. Comme ces nodosités se renouvellent constamment, celles qui meurent libèrent en se décomposant de l’azote qui retourne au sol : de 100 à 400 kg par ha par an. Au pied d’arbres fruitiers, par exemple, une couverture de trèfle blanc, à faible développement, peut donc contribuer à la nutrition azotée des fruitiers.
Les Azotobacter et les Clostridium sont des bactéries qui vivent librement dans le sol ; elles participeraient également à son enrichissement en azote.
Les Bacillus megatherium et B.subtilis fixent pendant la belle saison, par hectare, de 80 à 250 kg d’azote nitrique présent dans le sol. On évite ainsi que cet azote soit lessivé pendant l’hiver. Au printemps suivant, à la mort des bactéries, il sera minéralisé et disponible pour les cultures.
Ir. André Sansdrap
Wépion