Combat de coqs dans le monde du boxer
« Puis-je vous féliciter» ? En juin dernier, Dominique Seau a cru à un canular. Mais non, le patron d’Athena et d’Eminence ne rêvait pas. C’est bien Arnaud Montebourg qui l’a appelé sur son portable pour le remercier de produire encore des slips en France. Quinze jours plus tard, le ministre du Redressement productif faisait même le déplacement jusqu’à l’usine d’Aimargues, en Camargue, suivi par une ribambelle de journalistes. Le chantre du made in France n’a pas osé ce jour-là réitérer son coup de la marinière Armor Lux en enfilant le boxer bleu, blanc, rouge qu’Athena a créé pour ses 50 ans. «Mais il a très bien fait son boulot d’homme-sandwich devant les caméras», se réjouit encore Dominique Seau.
Un bon coup de pub pour Athena, parti en croisade depuis quelques années pour rattraper son grand rival, le leader Dim. Même si de nouvelles petites griffes pointent le bout de leur nez, ces deux marques dominent toujours le marché des dessous masculins dans les super et hypermarchés. Là où s’écoule plus d’un slip sur deux en France. Dim s’adjuge 34% des ventes, contre 27% à Athena (groupe Eminence). En volume, les deux protagonistes sont même au coude-à-coude.
Heureuse nouvelle pour ces experts du boxer – le modèle plébiscité à 80%, quand le slip ne représente plus que 20% des ventes – le business du dessous masculin s’est bien tenu ces dernières années. D’abord parce que ces messieurs délèguent de moins en moins souvent cet achat à leur compagne : ils s’en chargent désormais à 53%. Or, heureux corollaire, ils se montrent plus dépensiers en la matière. Ajoutons que les Français sont en Europe ceux qui investissent le plus dans leurs slips, avec 34 euros par an – les Italiens mettent, eux, le paquet dans leurs chaussettes. Deuxième facteur de dynamisme, les dessous sont devenus un accessoire de mode. Et pas seulement chez les jeunes qui les font dépasser outrageusement de leur jean, arborant la ceinture du boxer comme un totem.
Dès lors, l’obsession des fabricants est d’innover pour inciter leurs clients à revenir plus souvent au rayon lingerie. Sur ce terrain, Dim garde une longueur d’avance puisqu’il lance une nouveauté tous les six mois. Non pas qu’il ait d’énormes équipes de recherche : la marque achète sur étagère les créations de labos, comme celles du Ceti de Lille, ou de spécialistes, tel le Lycra. Les grandes tendances ? Le sport d’abord. Ainsi Dim a-t‑il sorti en 2011 son 3D Flex, un tissu élasthanne et coton qui s’étend dans toutes les directions. Le confort ensuite, à l’image du «soft touch», qui remplace le traditionnel élastique pour éviter de trop comprimer le ventre. Enfin, le boxer cherche à corriger les petits défauts : le Gentleman, avec sa coque en triple épaisseur, valorise ainsi les attributs masculins. Bientôt, la ligne Xtensive masquera même les bourrelets. Tout un programme !
Athena, plus timide sur les nouvelles matières, se contente de coton mélangé plus ou moins respirant et flexible. Mais il se rattrape sur l’autre créneau de l’innovation, les couleurs et motifs. Il compte frapper fort en 2014 avec de nouvelles ceintures en microfibre ornées de photos numériques imprimées, sur le thème de la Californie. L’objectif est clair, il s’agit d’attirer les moins de 25 ans, adeptes de motifs bariolés. Dans ce domaine, c’est une petite marque, Freegun, qui donne le la. En quatre ans, ses boxers recouverts de fraises Tagada, de briques Tetris ou de héros de Marvel se sont hissés à plus de 5% de part de marché. Ni une ni deux, Dim et Athena s’en sont inspirés pour sortir des collections tout aussi vibrionnantes. «Quand on lance une ligne Vegas, ils ripostent avec des motifs jetons de casino», s’amuse le patron de Freegun. Victimes de cette avalanche d’innovations, les marques d’enseignes ont, quant à elles, vu leur part de marché passer cette année de 29 à 27%.
Cependant, le critère du prix reste décisif. 76% des boxers sont en effet vendus par lots de trois ou quatre et la moitié bénéficient de ristournes. Sur ce terrain, Athena fait la course en tête depuis qu’il a lancé, au plus fort de la crise, en 2009, son pack Eco Prix à 25 euros les quatre boxers. Ses inventeurs l’ont baptisé «la Logan du slip» : un rapport qualité-prix qui lui permet de ne plus quitter le podium des meilleures ventes en France et de peser près de 40% du chiffre d’affaires d’Athena. Dim a d’ailleurs bien tenté de riposter avec son Eco Dim, soit deux boxers, un noir et un blanc. Sans autant de succès. «La qualité ne suit pas», souffle un acheteur. Athena se montre aussi très agressif côté promotion : 65% de ses slips sont proposés avec des réductions ou des gratuits. «Ils en font même un peu trop», commente Elodie Nicolas, chef de produit chez Système U, agacée de retrouver sa marque d’enseigne parfois au même prix que la griffe.
Athena satisfait en revanche les distributeurs par la qualité de ses livraisons. Les ruptures de stock sont en effet chez lui très rares : il assure 98% des commandes, contre 85% pour Dim. L’explication se trouve dans les usines, là même où Arnaud Montebourg s’était rendu. Loin d’être un handicap, le fait de produire encore une partie de ses collections dans les villages d’Aimargues et de Sauve lui assure une réactivité bienvenue pour les réassorts de dernière minute. Sur ses 30 millions de tee-shirts, boxers ou slips vendus chaque année, 16 proviennent directement d’Asie, où les coûts de production sont quatre fois moins chers ; 12 sont tissés et coupés dans le sud de la France avant d’être assemblés en Roumanie ou au Maghreb. Et 2 millions sont intégralement fabriqués sur place. «Nous pouvons ainsi reproduire du jour au lendemain un slip fabriqué en Chine si un client le réclame», se félicite le directeur général du groupe, Joseph Serres, au milieu de ses bobines multicolores. Dim ne peut pas en dire autant. L’ex-groupe industriel d’Autun (où seuls les collants sont encore fabriqués) sous-traite toute sa production en Roumanie, en Chine ou au Bangladesh. «On va toujours plus loin, même si beaucoup de produits n’arrivent pas avec la bonne couleur ou le bon bouton», déplore Alain Germain, délégué CFTC.
Mais cette flexibilité ne suffit pas à Athena pour faire la loi dans les rayons. Car, pour se mettre les distributeurs dans la poche, rien ne vaut une force de vente bien musclée. Or, grâce à sa présence forte dans les bas, les collants et la lingerie féminine, Dim peut mobiliser 80 commerciaux, deux fois plus qu’Athena. Contrairement à son concurrent, une partie d’entre eux sont spécialisés sur le réseau des supermarchés. Dim se retrouve ainsi en situation de quasi-monopole à côté de la MDD, notamment dans de nombreux Monoprix parisiens. Chaque année au printemps, la marque organise ses Beautiful Days, une semaine pendant laquelle toute l’offre homme-femme-enfants trône en allée centrale sur des étagères de carton préremplies. Athena, lui, réalise à peine 5% de son chiffre d’affaires en lingerie. Du coup, lorsqu’il s’agit de donner son avis sur la disposition des produits chez Carrefour et consorts, Dim arrive plus facilement à se placer au début du rayon, juste après la marque de l’enseigne. Au grand dam d’Athena, qui convoite le même créneau.
Le manque de notoriété d’Athena face à Dim n’est pas non plus étranger à ce rapport de force. Grâce à sa place de numéro 1 en lingerie féminine et à son célèbre jingle «papapapa papaaaa», Dim est cité spontanément par 59% des Français, contre 26% pour son rival.
Longtemps, il a monopolisé la publicité télévisée. En 2012, l’inventeur du bas Dimanche y a encore investi 7 millions d’euros (selon Kantar). Avec des messages un peu trop sages, comme ces joueurs de rugby se faisant des passes en studio pour prouver la flexibilité de leur 3D Flex. «C’est basique, mais ça permet de toucher le plus grand nombre», se défend Pauline Laplace, responsable de l’homme chez Dim. Mais dès 2014, Athena et Eminence feront leur grand retour sur le petit écran, après plus de dix ans de silence. «C’est le bon moment», selon la directrice de la marque Athena, Anouk Ribard, qui s’apprête à lancer une gamme Denim pour les 25-35 ans. Et côté message, Athena compte se démarquer en jouant la carte de l’humour, avec une parodie de Levi’s, façon western. Déjà l’an dernier, la marque avait fait jaser avec une campagne d’affichage doublée d’un making of de la séance photo diffusée sur Internet. On y voyait le perchiste Renaud Lavillenie et d’autres athlètes courant nus dans un stade. L’équipe de tournage était, elle aussi, dans le plus simple appareil. «On a totalisé 3,5 millions de pages vues pour 13 000 euros d’investissement», se réjouit encore Dominique Seau.
Athena a eu moins de succès quand il a cherché à diversifier ses circuits de distribution. Ses boutiques en propre ont été un échec. De même, Dim n’en compte qu’une dizaine. Or une nouvelle concurrence se fait jour. Les chaînes spécialisées (Undiz, H & M, etc.) ne cessent de faire des adeptes. Des griffes féminines comme Aubade font une incursion chez les hommes. Et de petites marques bousculent les habitudes : Freegun, mais aussi Pull In, Le Slip français, ou Garçon français, apprécié des milieux gays… Des acquisitions potentielles pour nos deux leaders ? Peu probable. Le groupe Eminence, détenu par les fonds d’investissement LBO France et LFPI depuis 2011, ne veut pas se disperser. De son côté, Sun Capital, le fonds d’investissement qui a racheté Dim pour une bouchée de pain au géant américain Sara Lee en 2007, cherche à s’en séparer. Mais la marque, qui fait partie du groupe DBApparel avec Wonderbra, Playtex…, n’a toujours pas trouvé acquéreur. L’affaire n’est pas encore dans le sac.
Athena : Chiffre d’affaires du groupe en France : 103 millions d’euros (dont 70% avec Athena)Lieux de production : France, Roumanie, Maghreb, AsiePrix moyen (lot de 2) : 16 eurosMarques : Athena, Eminence, MDDPart de marché dans les grandes surfaces* : 27%
DIM : Chiffre d’affaires du groupe en France : 280 millions d’euros (part de Dim non communiquée)Lieux de production : Roumanie, AsiePrix moyen (lot de 2) : 19 eurosMarques : Dim, Playtex, Wonderbra…Part de marché dans les grandes surfaces* : 34%
* En valeur
Sophie Lécluse