Estampes japonaises : panorama des œuvres

01/11/2022 Par acomputer 607 Vues

Estampes japonaises : panorama des œuvres

Nous avons vu, dans un premier article, comment les estampes japonaises sont apparues et se sont développées en fonction du contexte politique et social dans lequel elles s’inscrivaient. Cette évolution est marquée par des types d’œuvres très différents, une variété souvent insoupçonnable à notre époque. En effet, quand on pense estampe japonaise, on imagine des paysages ou de grands portraits, destinés à orner un mur. En réalité, l’art des estampes est pluriel. Les gravures représentent de multiples sujets et recouvrent un large panel d’utilisation. Certaines étaient simplement décoratives. D’autres servaient de publicité ou de jeux. Focus sur les différents rôles qu’elles ont pu occuper, ainsi que sur les thèmes traités.

Estampes publicitaires

Kiyonaga TORII, Courtisane de la maison Chôjiya et ses kamuro (suivantes), Série des modèles pour la mode, 1782

L’époque Edo développe une activité publicitaire qui, par bien des aspects, préfigure certaines pratiques contemporaines. Les estampes y jouent un rôle pionnier et certains des sujets les plus emblématiques des gravures entrent dans cette catégorie.

L’un des tous premiers thèmes traités par les peintres est celui des courtisanes. La croissance d’Edo concentre une importante population masculine dans la capitale shogunale : samouraïs, artisans, travailleurs journaliers… Pendant longtemps, Edo compte plus d’hommes que de femmes, phénomène qui attire nombre de prostituées. Yoshiwara, le quartier des plaisirs d’Edo, ouvre ses portes en 1617. Ses courtisanes deviennent l’un des sujets favoris des estampes, donnant naissance au bijin-ga, genre de l’ukiyo-e consacré aux beautés féminines. Les gravures constituent une publicité efficace pour les maisons closes par leur façon de magnifier les prostituées. Les artistes illustrent les guides du Yoshiwara présentant les différents établissements et leurs pensionnaires, et réalisent de nombreux portraits de courtisanes, identifiées par leur nom. Ils concourent ainsi à asseoir leur célébrité. À partir de 1793, un édit tente de limiter la portée de ces œuvres, jugées contraire aux bonnes mœurs, en interdisant de mentionner l’identité des femmes portraiturées. Le genre est toutefois trop bien ancré pour s’effacer aussi facilement.

Harunobu SUZUKI, L’averse, 1765

À côté de leur vocation publicitaire, les estampes de courtisanes servent également à véhiculer la mode : les femmes du peuple s’inspirent du raffinement des prostituées en matière de coiffure ou de maquillage. Par ailleurs, le bijin-ga s’ouvre à un autre répertoire, qui sort de l’univers des plaisirs. Mères, épouses, travailleuses et figures légendaires viennent ajouter leurs traits à ceux des courtisanes. Les peintres les représentent dans toutes les situations possibles : avec leurs enfants, occupées par leur travail, en pleine toilette ou en train de se promener ou de jouer. Il est intéressant d’observer l’évolution stylistique de ces gravures qui dévoile celle de l’idéal féminin tout au long de l’époque Edo. Au tournant du 18e siècle, le type qui s’impose est celui d’une femme fière et hautaine, dotée d’une silhouette cambrée. Les critères évoluent sous la plume de Harunobu vers des jeunes filles gracieuses et androgynes aux visages arrondis. Après 1750, on trouve plutôt des femmes affirmées, d’un âge plus mûr, tandis que le 19e siècle sera l’époque des silhouettes longilignes et des visages ovales.

Toyokuni UTAGAWA, Acteurs dans les rôles des frères Soga et de Tegoshi no Tsukuna, entre 1844 et 1848

Parallèlement aux courtisanes, une autre figure de monde des divertissements s’impose dans les estampes : celle de l’acteur de kabuki. Apparu au début du 17e siècle, le kabuki est un théâtre beaucoup plus populaire que le nô. Il est très apprécié du grand public pour son action dramatique, ses costumes et maquillages colorés et ses effets scéniques élaborés. Les propriétaires des théâtres perçoivent rapidement l’intérêt des gravures pour faire réaliser des affiches et des programmes, diffusant le nom de leur établissement et celui des acteurs. De leur côté, les spectateurs apprécient de pouvoir conserver un souvenir d’une pièce ou d’une interprétation qui les a particulièrement marqués. Des shini-e, des estampes nécrologiques, sont également publiées à la mort des acteurs les plus populaires, aussi adulés que des stars contemporaines.

Kunisada UTAGAWA, Le lutteur de sumo Hamanosuke Kagamiyama, 1844

Les lutteurs de sumo se forgent, eux-aussi, une place de premier plan aux côtés des courtisanes et des acteurs. À l’origine pratique cérémonielle destinée à favoriser les récoltes, le sumo devient un sport professionnel à l’époque Edo. Sa popularité ne cesse de grandir jusqu’à connaître un véritable âge d’or à la fin du 18e siècle, coïncidant avec celui de l’ukiyo-e. C’est tout naturellement que les lutteurs apparaissent à leur tour sur les estampes. Ces gravures jouent le même rôle que celles des acteurs de kabuki : elles servent de support publicitaire pour célébrer la renommée d’un lutteur et celle de l’école à laquelle il appartient, et permettent aux spectateurs de garder un souvenir de leurs lutteurs préférés. Le genre devient tellement populaire qu’une école, l’école KATSUKAWA, se spécialise sur le sujet.

L’efficacité des estampes dans le domaine publicitaire ne manque pas d’être remarquée par les marchands. Le savant Gennai HIRAGA (1729-1780) est l’un des premiers à avoir l’idée de faire imprimer des gravures et des prospectus pour mettre en avant une poudre de dentifrice de son invention. Bien d’autres commerçants suivent son exemple avec, parfois, des idées originales. On peut ainsi citer Kyôden SANTÔ (1761-1816), lettré et marchand de tabac, qui utilise des estampes d’Utamaro incluant des rébus comme emballage pour ses articles. Beaucoup n’hésitent pas à profiter des genres artistiques à la mode et sollicitent les acteurs de kabuki pour servir de modèle dans des publicités vantant les mérites de leurs produits. Le succès engendré par ce type de gravures prouve à quel point les Japonais y étaient sensibles.

Toyokuni UTAGAWA, Le magasin de vêtements Ebisu-ya, 1790

Estampes décoratives

Estampes japonaises : panorama des œuvres

Koryusai ISODA, deux hashira-e se répondant, Le rêve du nouvel an, 1770Rêver d’aubergines, d’un faucon ou du Mont Fuji la nuit de la nouvelle année porterait chance pour l’année à venir.

Les citadins de l’époque Edo se montrent très friands de gravures à vocation purement ornementale. On en accroche notamment dans les tokonoma, petite alcôve située dans la pièce principale d’une maison où l’on expose calligraphies, peintures et objets d’art. Même les domiciles les plus modestes disposent d’un tokonoma. À défaut d’avoir les moyens d’acquérir une peinture, leurs propriétaires achètent plutôt des estampes, au tarif beaucoup plus abordable.

Au 18e siècle, se développent également les hashira-e, des gravures destinées à être accrochées aux piliers des maisons pour en dissimuler les taches éventuelles. Montées sur un support ou directement collées sur les piliers, ces planches se distinguent par un format très allongé. Malheureusement, très peu d’entre elles nous sont parvenues. Exposées à la lumière du jour, aux émanations de la cuisine et au tabac, elles s’abîment rapidement et sont régulièrement jetées et remplacées.

Autre support d’estampes décoratives : les uchiwa, ces éventails ovales et non pliables, omniprésents dans la vie du peuple de l’époque Edo. Très peu onéreux, on les achète au début de l’été, avant de les jeter quand les températures refroidissent. Rapidement, des gravures dotées d’un format spécifique viennent les décorer. Tout comme pour les hashira-e, très peu de ces œuvres ont subsisté jusqu’à nos jours, en raison des manipulations fréquentes dont elles faisaient l’objet.

Toutes ces estampes décoratives déclinent les thèmes chers à l’ukiyo-e, ceux ayant trait à la culture urbaine de l’époque Edo, ou aux paysages à partir du 19e siècle. Toutefois, un autre type d’estampe ornementale va donner l’occasion aux peintres d’expérimenter des sujets différents : les surimono.

Tirages de luxe à diffusion privée, les surimono sont commandés aux artistes par des cercles de lettrés ou par des particuliers désireux de célébrer un évènement personnel, comme un mariage, une naissance, un changement de nom ou une réussite. Certains magasins les utilisent également comme carte de vœux à envoyer à leurs clients les plus fidèles. Ces estampes échappent au contrôle de la censure, du fait de leur tirage très limité. Financés par des commanditaires fortunés, les fabricants utilisent les pigments les plus précieux et des papiers d’une qualité supérieure pour les réaliser. Ces gravures allient souvent texte et image, en incluant des poèmes au milieu des représentations picturales, et s’ornent de paillettes de mica, d’or ou d’argent, ainsi que d’effets de gaufrage, une technique consistant à donner du relief à certains motifs.

Le genre explore les thèmes traditionnels de l’ukiyo-e, mais englobe également beaucoup de natures mortes représentant des objets luxueux, souvent liés aux divertissements, ainsi que des motifs d’oiseaux ou de fleurs, issus de la peinture chinoise et du style japonais du yamato-e de l’époque Heian (794-1185). Les egoyomi, calendriers illustrés dont les indications se cachent au sein des motifs picturaux, deviennent aussi un sujet très prisé des surimono.

Anonyme, Hibou sur une branche de magnolia, vers 1870

Estampes de divertissements

Hokusai KATSUSHIKA, sugoroku, Voyage à Kamakura, Enoshima et Ôyama, années 1820

Les divertissements constituent une source inépuisable d’inspiration pour les artistes de l’époque Edo : jeux d’enfants, fêtes saisonnières, spectacles et attractions foraines se retrouvent fréquemment sur les gravures. Pendant l’ère Meiji, certains peintres reproduiront même les acrobaties de cirques étrangers invités au Japon. Les planches de paysage s’inscrivent également dans cette veine : à partir du 19e siècle, un véritable tourisme intérieur se développe et les voyageurs apprécient de pouvoir rapporter chez-eux des estampes des lieux traversés. Il s’agit d’un souvenir à la portée de toutes les bourses et facile à transporter, un peu comme une carte postale.

Toutefois, les estampes ne se contentent pas de représenter les divertissements, elles servent de distraction elles-mêmes. Un grand nombre d’estampes ludiques voient ainsi le jour. Les tirages destinés aux enfants présentent une grande richesse de types différents. On trouve des rébus, des représentations d’ombres chinoises à reproduire et beaucoup de planches à découper ou plier pour confectionner des maquettes, des poupées ou des jeux de cartes. Le sugoroku, sorte de jeu de l’oie, fait son apparition sur les gravures. Ses cases constituent l’occasion d’illustrations variées, souvent à visée pédagogique. Apparu dès le 12e siècle pour servir de support aux enseignements donnés dans les temples bouddhistes, ce jeu se popularise à l’époque Edo, aussi bien auprès des enfants que des adultes, grâce aux estampes qui le diffusent rapidement et à peu de frais. De par leur utilisation courante, ces œuvres ludiques ont, là encore, en grande partie disparu.

Kunisada UTAGAWA, Planche n°33 de la série des lanternes magiques, 1847-1852

D’autres gravures, très spécifiques, se développent pour le plaisir des grands et des petits : celles destinées aux boîtes d’optique et aux lanternes magiques. Ces instruments donnant l’illusion du relief et du mouvement aux images projetées à l’intérieur sont introduits au Japon au 18e siècle par les marchands hollandais du comptoir de Nagasaki. Ils deviennent très appréciés du grand public et certains peintres se font connaître pour leur production d’estampes stéréoscopiques, tel Okyô MARUYAMA.

Yoshitoshi TSUKIOKA, Kintaro chevauchant une carpe, 1882

Les histoires véhiculées par les légendes et le folklore constituent une autre source de divertissement. Ces sujets, dotés d’un aspect narratif et d’une grande variété de personnages, humains ou esprits, permettent aux peintres de laisser libre cours à leur inventivité, de jouer sur des compositions complexes et de varier les silhouettes, les angles et les motifs. Les gravures représentant des héros de conte, tels Kintarô ou Momotarô, sont très appréciées par les enfants qui s’y réfèrent comme des modèles. Pour les adultes, on trouve les musha-e, les estampes de guerriers. Elles représentent des personnalités et évènements des siècles passés, le gouvernement ayant interdit aux peintres de dessiner les guerriers contemporains. Déroulant parfois une histoire sur plusieurs planches successives, ce genre permet à la classe citadine de s’approprier les valeurs d’honneur et de vaillance des samouraïs.

Shigemasa KITARO, Branche de prunier du carquois, vers 1804-1807Représentation faisant allusion au guerrier Kagesue Kajiwara mettant des branches de prunier dans son carquois avant d’aller affronter les Heike en 1184

Enfin, un type particulier d’estampe va connaître un grand succès auprès des lettrés : celui des mitate-e. Il s’agit d’estampes parodiques transposant des thèmes historiques ou légendaires issus des traditions japonaises et chinoises à l’époque des artistes. Jeux de mots, métaphores et devinettes sont particulièrement en vogue à l’époque Edo et s’invitent dans ces gravures en jouant sur les détails pour permettre aux spectateurs d’identifier les scènes représentées.

Estampes pédagogiques et informatives

Anonyme, Mélange de véhicules, 1870

Les estampes jouent un grand rôle dans le domaine de l’éducation. Jusque-là réservé à l’élite, l’enseignement s’ouvre peu à peu aux autres classes sociales pendant l’époque Edo. Des écoles appelées terakoya se multiplient, tenues par des moines bouddhistes, des docteurs, des guerriers, des notables ou des veuves. Elles accueillent aussi bien les filles que les garçons et enseignent la lecture, la calligraphie et le calcul. La pédagogie de l’époque intègre facilement le divertissement à son approche, considérant qu’apprendre en s’amusant peut se révéler très efficace. Livres illustrés et estampes deviennent ainsi un support didactique très apprécié pour leur côté attrayant.

L’enseignement de l’ère Meiji, plus normalisé et ouvert sur les matières occidentales, continue d’utiliser ce procédé. Les artistes d’alors réalisent des planches à visée encyclopédique portant sur la vie quotidienne, la faune, la flore et, surtout, sur les nombreuses innovations qui bouleversent la société japonaise, offrant ainsi un précieux témoignage de la modernisation en marche.

Un autre type de gravure, plus informatif que didactique, se développe pour les adultes : les estampes de faits divers. Dès le 17e siècle, des feuilles volantes sont imprimées pour rendre compte des accidents, crimes et catastrophes naturelles agitant la vie de l’archipel. Toute critique du gouvernement est proscrite par la censure. Ces feuilles sont vendues ou lues à la criée. À l’origine dépourvues d’illustrations, elles s’ornent rapidement de gravures. Ces parutions se poursuivent au tournant de l’époque Edo et de l’ère Meiji, avec la création des premiers journaux, tels le Nagasaki shipping list and advisor, fondé en 1861, ou le Yokohama mainichi shinbun en 1871.

Anonyme, Des courtisanes et des habitués d’un quartier des plaisirs s’en prenant à un poisson-chat après un tremblement de terre, 1855

Certaines estampes se veulent également explicatives, notamment dans le domaine de la santé. Elles établissent des listes de produits et aliments à consommer pour éviter les maladies, ainsi que ceux auxquels recourir si l’on ne se sent pas bien. Ce type de gravure est à mettre en relation avec les planches-amulettes, des œuvres représentant des divinités que l’on place à l’entrée de sa demeure pour se garder des maladies et catastrophes, et attirer richesse et succès dans son foyer. Certaines d’entre elles constituent même une catégorie à part : les namazu-e, des estampes de poisson-chat que l’on acquiert pour être épargné en cas de tremblement de terre. Une croyance populaire racontait que les séismes étaient provoqués par les mouvements d’un gigantesque poisson-chat emprisonné sous le Japon.

Estampes érotiques

On ignore l’origine exacte des estampes érotiques : support d’éducation sexuelle pour les jeunes mariées ou simples images destinées au divertissement ? Quoi qu’il en soit, les shunga (images de printemps) apparaissent dans le paysage artistique dès les débuts de l’ukiyo-e. Par leur finesse et la variation de leurs compositions, elles relèvent d’une grande qualité artistique. Elles constituent une part importante de l’ensemble des estampes produites pendant l’époque Edo. Les plus grands peintres de l’époque, tel Hokusai ou Utamaro, en ont tous réalisé.

Utamaro KITAGAWA, Uta makura (le chant de l’oreiller), 1788

Plusieurs éléments peuvent surprendre un œil occidental découvrant ces œuvres. Premièrement, l’absence de nudité : les personnages de ces gravures restent souvent habillés, au moins partiellement. La culture japonaise traditionnelle entretient en effet un rapport au corps très différent de celui des pays occidentaux. La nudité est avant tout liée à l’hygiène et au quotidien. Hommes et femmes du peuple se côtoient nus dans les bains publics et déambulent parfois avec très peu de vêtements. La pratique des seins nus ne pose aucun problème. Ce ne sera qu’avec la modernisation de l’ère Meiji, puis, plus tard, l’occupation américaine dans l’après-guerre, que les mentalités changeront. À l’époque Edo, la nudité est quelque chose d’anodin, très éloigné de toute vision érotique, et l’idée du nu artistique est étrangère aux modes de pensée.

Shunsho KATSUKAWA, 9e estampe de la série du Coucou comique ou de l’adoration du sexe des femmes de la nuit, 1788

Par ailleurs, les estampes érotiques abordent leur thème avec beaucoup de fantaisie. On y découvre des organes sexuels exagérés et des postures extravagantes, parfois difficiles à décrypter. Une approche qu’éclaire un autre nom des shunga : warai-e, image pour rire. Au contraire de la culture occidentale qui a souvent vu la sexualité comme un péché, ou comme quelque chose de honteux dont on ne parle pas, le Japon de l’époque Edo porte sur le sujet un regard beaucoup plus libre et joyeux. Il n’y a aucun mal à la montrer, surtout pour en rire. Kien YANAGISAWA, un lettré du 18e siècle, recommande ainsi d’admirer des estampes érotiques pour se délasser de son travail intellectuel.

Utamaro KITAGAWA, 11e planche de la série L’étreinte de Komachi, détail, 1802

Plusieurs amateurs occidentaux s’y intéresseront, notamment Edmond de GONCOURT qui écrit dans ses mémoires : « J’ai acheté l’autre jour des albums d’obscénités japonaises. Cela me réjouit, m’amuse, m’enchante l’œil. Je regarde cela en dehors de l’obscénité qui y est et qui semble ne pas y être et que je ne vois pas, tant elle disparait sous la fantaisie ».

Soucieux de la morale confucéenne, le gouvernement japonais tentera parfois de limiter la diffusion de ces oeuvres, mais sans grand effet auprès du grand public qui continue de les apprécier et d’en acquérir. Le grand nombre d’estampes érotiques qui nous sont parvenues prouve une complaisance certaine sur le sujet, la censure se révélant plus stricte vis-à-vis des planches remettant en cause l’ordre social.

Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que la commercialisation des shunga est interdite pour de bon afin de s’aligner avec la morale occidentale. Beaucoup de collectionneurs n’osent pas dévoiler celles qu’ils dissimulent chez eux. Aujourd’hui encore, elles sont souvent perçues avec gêne et rarement abordées dans les grandes expositions traitant de l’art des estampes japonaises. Une gêne bien loin de la culture des plaisirs et des divertissements de l’époque Edo.

Shun’ei KATSUKAWA, Série des Jeux d’enfants, Le dixième mois, date inconnue

À travers les personnages et les sujets traités par l’ukiyo-e, c’est donc toute la culture du peuple de l’époque Edo qui se dévoile au regard contemporain. Une culture pleine de vie, de rire, de plaisirs et d’attrait pour le spectaculaire, bien loin de l’image zen et dépouillée souvent associée à la culture japonaise traditionnelle. Certaines catégories d’estampes restent méconnues du grand public et peu abordées car jugées trop secondaires ou inconvenantes, ou parce qu’il n’en reste que trop peu d’exemplaires. De nombreuses études mériteraient d’être réalisées sur le sujet pour davantage faire connaître la richesse de cet art qui fascine tant.

Sources :Nelly DELAY, L’estampe japonaise, Hazan, 2018Brigitte KOYAMA-RICHARD, Les estampes japonaises, Scala, 2014http://expositions.bnf.fr/japonaises/