Affaire Thérèse Humbert. Comment l’arnaque du siècle a été mûrie par une femme, près de Toulouse
Notre série sur les grandes affaires criminelles et judiciaires d'Occitanie
Jusqu'à dimanche, nous vous amenons au coeur de grandes affaires criminelles et judiciaires d'Occitanie. Voici le premier volet de cette série, consacré à l'affaire Thérèse Humbert, l’arnaque du siècle qui a été mûrie par une femme, près de Toulouse. Ce jeudi, nous vous raconterons l'affaire Martin Guerre qui s'est déroulée en Ariège. Bonne lecture !
Jamais sans doute, ouverture de coffre n’aura été autant épiée. On jurerait l’accouchement d’une reine devant perpétuer la lignée des Bourbons sous les regards obliques et scrutateurs des courtisans du premier cercle.
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Tous les yeux rivés sur un coffre-fort
Ce 2 mai 1902, ce ne sont pas juste quelques paires d’yeux d’auxiliaires de justice zélés qui se braquent sur l’épaisse porte blindée, mais bien la France entière.
Car si sa propriétaire a filé avant l’arrivée des policiers, la réputation, la renommée de Thérèse Humbert, en ont fait une figure reconnue du Tout Paris. Et à l’instar d’Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur encore en gestation sous la plume de Maurice Leblanc, son mythe ne fera que s’amplifier avec le temps.
« La plus grande escroquerie de tous les temps »
Comment cette femme au léger défaut de prononciation – un zozotement… aguicheur – a-t-elle séduit son fils ? Le futur garde des Sceaux Gustave Humbert peine à le concevoir. L’excentricité. Le charme de ses affabulations, sans doute. Et peut-être aussi ce « parrain richissime » qu’elle vante à longueur de temps. Il ignore encore que cette bru peu conventionnelle entachera irrémédiablement son cher patronyme, le livrant à la postérité à la rubrique « plus grande escroquerie de tous les temps ».
En 1883, cinq ans après son mariage à Beauzelle (Haute-Garonne) et son introduction dans la bonne société, Thérèse Humbert éprouve pour la première fois les préceptes paternels. « Quand on ne possède pas d’argent propre, on l’arrache dans la poche des nantis ». Quitte à s’affranchir de toute règle de déontologie. Voire du code pénal.
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Robert Crawford, le millionnaire imaginaire
C’est ainsi qu’elle se met à répandre un bruit dans le cercle de ses intimes fortunés : un dénommé Robert Crawford, millionnaire américain de son état, l’a désignée légataire universelle de ses biens. Une fortune immense. Mais comme un autre testament mentionne les deux neveux du magnat, la justice a été saisie. Thérèse affiche une confiance sans faille : le droit la désigne et elle touchera bientôt la somme de 100 millions de francs or en bons au porteur. L’équivalent de 480 millions d’euros actuels ! Le rêve américain en or massif.
Inutile de préciser que ledit Crawford n’existe que dans l’imaginaire fécond de Thérèse. Mais ses riches amis, appâtés par la fréquentation d’une aussi puissante héritière – sait-on jamais, ça peut toujours servir -, consentent volontiers à lui prêter de quoi couvrir ses dépenses somptuaires. Car l’idée de génie de l’aventurière, est de faire authentifier l’existence des neveux Crawford – en réalité, ses propres frères, Emile et Romain ! – à travers une (fausse) bataille judiciaire. Et ce, durant près de vingt ans.
Maison(s) de campagne, yacht, vêtements de luxe
Au total, le couple Humbert – dont l’époux s’est converti aux magouilles de sa femme – emprunte 50 millions de francs. Et investit sans compter. Maison(s) de campagne (Paris, Toulon, Tunisie…), château en Seine-et-Marne, yacht, vêtements griffés… Rien n’est trop beau pour conforter sa place au sein du gotha.
Les dîners servis dans l’hôtel particulier de l’avenue de la Grande-Armée rassemblent tout ce que la capitale compte de personnalités publiques, politiques, magistrats, hauts fonctionnaires de la 3e République triomphante. La promesse de l’héritage éblouit les créanciers. Jusqu’à les aveugler.
Puis Thérèse se lance dans les affaires. Elle crée une société d’épargne, « La rente viagère », qui promet des rendements mirobolants à tous les épargnants désirant faire fructifier leurs économies. Le scandale de Panama où des milliers de petits porteurs se sont fait plumer lors du percement du fameux canal n’est pas si lointain. Mais l’appât du gain est un puissant narcoleptique. Et Thérèse le chevauche comme le (fake) tonton d’Amérique le ferait d’un mustang des plaines de l’Idaho.
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Un parfait système de cavalerie
Trente ans avant qu’il ne passe à la postérité sous le nom de « chaîne de Ponzi », elle développe le parfait système de cavalerie. Levant toujours plus de fonds, et offrant des intérêts aux plus anciens investisseurs avec les capitaux soutirés aux plus récents. Tant que de nouveaux gogos mordent à l’hameçon, le système (certes éminemment bancal) perdure. Mais un jour ou l’autre, la pyramide finit par s’effondrer.
L'Assiette au Beurre brocarde la justice (et le procès)
Les caricaturistes se sont emparés de l'affaire Humbert qui symbolisait à leurs yeux les dérives d'une époque. Celles d'un capitalisme effréné. Proche des milieux libertaires, l'hebdomadaire satirique L'Assiette au Beurre a consacré plusieurs unes - voire numéros entiers - au procès de la Grande Thérèse et de ses fraternels complices. Pour mieux brocarder la justice. Témoin ce dialogue aussi savoureux que surréaliste (mais peut-être pas tant que ça) entre le président d'audience et la prévenue, dans l'édition du 15 août 1903 :Le président : Parlez-nous du coffre-fort.Mme Humbert : Je mange un œuf tous les soirs.Le président : Fort bien ; maintenant, parlez-nous des Crawford.Mme Humbert : Je ne dors qu'une heure par nuit.Le président : Fort bien ; parlons de la Rente viagère.Mme Humbert : Je suis si nerveuse.Le président : Fort bien ! Enfin, vous allez pouvoir rembourser les millions ?Mme Humbert : Je n'entends plus...
Vingt ans après avoir surgi de son esprit, le mensonge de l’héritage made in USA semble durablement ancré dans le domaine spéculatif. Et le grain de sable apparaît. Un journaliste du Matin, François Mouthon, suggère à voix haute ce dont la coulisse bruit depuis quelques temps : escroquerie.
Les autorités françaises diligentent une enquête. La justice ordonne l’ouverture du coffre des Humbert, sensé receler le testament Crawford, pour dissiper tous les doutes.
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Les caricaturistes se déchaînent avec leur lapin
Retour à la scène initiale. Le petit Bourbon joufflu au profil aquilin tant attendu se révèle sous les traits d’un bâtard maigrelet aux traits grossiers. Lorsque la porte s’ouvre enfin, le coffre-fort ne révèle, selon la légende, qu’une brique et une pièce d’un demi-penny. Plus vraisemblablement est-il vide. Les plus grands caricaturistes s’empareront de ce moment mythique en y ajoutant un… lapin. Symbole de l’arnaque du siècle.
Les Humbert, eux, ont fui en Espagne avant la Bérézina. Ils sont finalement arrêtés à Madrid, en décembre 1902, trahis par un voisin qui les a reconnus. Les frères de Thérèse font partie du coup de filet. Ceux-là mêmes qui crédibilisaient sa fable en jouant à l’envi les fameux neveux Crawford couchés sur le second testament. Le grand art de l’esbrouffe.
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Elle devient « la Grande Thérèse »
La presse à fort tirage s’empare de l’affaire et en tirera un lucratif feuilleton judiciaire. Avec sa faconde, son culot, et sa propension à avoir plumé des gens pas vraiment dans le besoin, la gamine de Toulouse gagne un surnom populaire (quasi laudateur) que les tsaristes ne renieraient pas : la Grande Thérèse.
Lors du procès, son avocat est celui de Dreyfus, le fameux capitaine sémite de l’armée française, condamné à tort pour haute trahison et livré pieds et poings liés aux affres du bagne guyanais. Me Labori obtient pour le couple un jugement, disons, clément : 5 ans de réclusion. Après avoir détourné l’équivalent de 480 millions d’euros ? L’ultime arnaque de Thérèse (Daurignac) Humbert. Peut-être la plus improbable.
Sources : Les plus grands gangsters et criminels (Prisma Médias), Wikipédia, Détective, Le Petit Journal Illustré…
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