Avec les défilés Jacquemus et Dior, Paris célèbre son éclectisme

28/10/2022 Par acomputer 602 Vues

Avec les défilés Jacquemus et Dior, Paris célèbre son éclectisme

Tout est parti d’une photographie de Niki de Saint Phalle, en tailleur Dior par Marc Bohan, sur un dromadaire au Maroc, en 1968, découverte lors de l’exposition Christian Dior, couturier du rêve, au Musée des arts déco. « J’avais, par ailleurs, vu une rétrospective qui lui était consacrée à Rome, il y a quelques années. Je me suis passionnée pour son œuvre, pour sa vie, avant de découvrir qu’elle entretenait une relation privilégiée avec Bohan, confiait Maria Grazia Chiuri, la veille de son défilé Dior, assise devant un tableau d’inspiration recouvert de clichés de Saint Phalle dans son atelier ou en pleine performance de Tirs (1961-1963). Elle a commencé en tant que mannequin, puis s’est révélée comme artiste. Vous connaissez son histoire tragique (elle a dévoilé tardivement avoir été violée par son père à l’âge de 11 ans, NDLR), elle a utilisé l’art comme facteur de résilience. À travers son œuvre, elle exprimait sa part d’enfant mais, en tant que femme, elle était forte et plutôt androgyne. Parallèlement, cette collection fait également référence à un article de Linda ­Nochlin datant de 1971 Why Have There Been No Great Women Artists ? (Pourquoi n’y a-t-il pas de grande femme artiste ?). » L’interrogation - ironique puisque la thèse de la chercheuse américaine soutient que l’histoire de l’art a été écrite par des hommes - s’inscrit sur un tee-shirt porté avec un jean en ouverture du défilé. Un gimmick de MGC qui a fait date avec le même vêtement à slogan « We all should be a feminist » dans sa première collection, printemps-été 2017. « Les femmes ont à combattre leur propre sentiment d’infériorité, d’imposture. Et c’est vrai partout dans le monde. Les vêtements doivent les aider à se sentir bien, plus sûres d’elles. »

Une féminité multiple chez Dior

La question reste de savoir comment traduire cette bienveillance en un vestiaire destiné à des clientes fortunées dans le monde entier, qui aiment tout ce qui brille, qui aiment aussi les logos et les jeans… Cette complexité avait trouvé son unité dans la dernière collection par un parti pris presque intégralement noir et bleu marine, axé sur le tailoring, très (trop ?) calibré. Cette fois, c’est l’inverse. On retrouve ces mêmes jupons à plumetis révélant de grandes culottes à logos (rehaussées de rayures de couleur), étranges dans une maison de couture qui n’a pas développé les sous-vêtements par le passé, comme un Calvin Klein ou un Armani. D’un passage à l’autre, la styliste raconte, donc, l’histoire de Niki de Saint Phalle, en particulier dans les années 1960, avec son attitude arty, très Diana Rigg dans ses robes trapèze, ses marinières et ses combinaisons de pompiste. Puis, elle dérive vers une influence seventies, à coup de veste en agneau de Mongolie, de jupe en dreadlocks de laine, de besace plate à franges et, moins folk, plus disco, de robe pull en paillettes noire et flamme. Avant de décliner les damiers des drapeaux de Formule 1 sur des combishorts de pilote. Déroutant. Maria ­Grazia Chiuri semble défendre une féminité multiple, sans tout à fait lâcher la bride.

La maison Dior ayant noué un partenariat avec la fondation en charge du legs de Niki de Saint Phalle, c’est aussi son œuvre que les ateliers prêt-à-porter ont repris en broderies ou en imprimés : une reproduction de la céramique Positive and Negative Dragon (1988) sur un short en cuir taille haute, le dessin Traces, couverture du premier tome de son autobiographie (1999) sur une robe tee-shirt à paillettes, Tu es mon Dragon (1968) ornant un hobo en cuir… Un futur collector comme ces microsacs à bandoulière de guitare et ces grands formats, genre de cabas à commissions, façonnés dans la toile jacquard monogrammée vintage Oblique remise en avant depuis deux saisons par la Romaine. « Ma formation est à l’origine designer d’accessoires. Je ne sais pas pourquoi il existe une sorte de préjugés vis-à-vis de cette catégorie, parce que ce serait “commercial”. Moi je pense qu’un sac ou qu’une chaussure est une pièce de design qui concentre autant de créativité qu’une robe. Ce serait comme de dire qu’une chaise est moins créative qu’un immeuble », explique à juste titre Maria Grazia Chiuri.

Tout les passages du défilé Dior prêt-à-porter printemps-été 2018

Défilé Christian Dior Prêt-à-porter Printemps-été 2018 Paris
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Une collection Jacquemus inspirée par Matisse

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D’un artiste à l’autre… En 1973, Niki de Saint Phalle rendait hommage à Picasso, tout juste disparu, à travers la toile Salut Pablo. À la même époque, il est décidé que l’œuvre du génie espagnol serait réunie dans l’Hôtel Salé, au cœur du quartier du Marais. C’est là que Simon Porte, le créateur de Jacquemus, inaugurait la Fashion Week de Paris, lundi soir, grillant ainsi la priorité à Dior, ce que le jeune Français, un brin insolent, n’a pas dû détester. « Au départ, j’étais intimidé par ce lieu car Picasso est mon artiste préféré, mais je n’ai pas pu résister à la beauté de l’architecture, des fers forgés de l’escalier d’honneur, raconte-t-il quelques minutes après le show, dans la cour pavée du musée. Mais mon inspiration dans cette collection serait plutôt Matisse, ses paysages corses, ses couleurs. » Intitulée La Bomba, cette saison baignée de lumière évoque le souvenir de sa mère (disparue alors qu’il était petit) les soirs d’été, quand il l’accompagnait, elle si belle faisant le tour des boutiques de céramique sur un port en Corse. « J’ai aussi été inspiré par Danyrose (le mannequin sur lequel il a conçu la collection, NDLR) qui est martiniquaise, par sa façon d’être et de marcher. » Cette sensation propre à l’été, hédoniste, du corps sain, libre et hâlé, il la traduit en des robes drapées qui impriment la rétine. D’abord par la qualité d’exécution (rare chez une si jeune maison), mais aussi par le juste dosage entre la créativité et la réalité d’une tenue dans laquelle une femme peut se projeter. Tout le monde ne portera pas ses robes froncées découvrant haut la cuisse, tenant par l’esprit et une fine bretelle sur les épaules, tombant dans le creux des reins - il y a du Mireille Darc à la Audiard dans ces filles à moitié nues mais jamais vulgaires. Dans le public, beaucoup ont déjà mentalement réservé ses robes chemises nouées à la taille, ses tailleurs corsaires de matador sexy, ses petits pulls en maille côtelée (dont un modèle à motifs losanges façon pastiche naïf d’un célèbre monogramme) qui signent un dressing ultra-efficace, nourri d’un chic très Fondation Maeght et à la fois contemporain. On a souvent cité à propos du trentenaire les noms de Christian Lacroix et de Jean Paul Gaultier. Ce qu’il partage avec ses aînés est cette capacité à faire de références franco-françaises presque démodées un propos universel dans un vêtement réel.

Tout le défilé Jacquemus printemps-été 2018

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En vidéo, retour sur la "loi mannequin"

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