Intemporel et éternel kimono - L'Orient-Le Jour

31/01/2023 Par acomputer 531 Vues

Intemporel et éternel kimono - L'Orient-Le Jour

Annoncée par le musée Victoria & Albert de Londres en février dernier, l’exposition «Kimono: Kyoto to Catwalk»a été ajournée. Le V&A a fermé ses portes le 18 mars en raison de la pandémie, et toute sa programmation a été suspendue. En attendant la réouverture, cette thématique ne peut que nous interpeller, à une époque où l’industrie du vêtement, en pleine fracture, s’interroge sur toute une restructuration de ses traditions, voire sur de nouvelles conceptions de la mode en rapport avec la peur de la contagion qui conditionnera désormais tous nos comportements. Le kimono deviendra-t-il un indispensable à une époque qui impose, pour des raisons pratiques et sanitaires, le port de vêtements protecteurs au-dessus des vêtements de ville ? La mode nous épargnera-t-elle la contrainte de nous déshabiller sur le palier, pour ne pas transporter à l’intérieur les germes des transports publics, des cafés et des lieux de rassemblement, en créant des pardessus légers, faciles à ôter et enfiler, lavables et stérilisables ? Le kimono, sous une nouvelle forme adaptée, se prépare sans doute à devenir un incontournable de nos vestiaires, et les créateurs libanais et moyen-orientaux pourront de leur côté s’en donner à cœur joie avec les infinies variations possibles sur la abaya dont le retour s’est annoncé en force dès les premières années de ce siècle. Intemporel et éternel kimono - L'Orient-Le Jour

Intemporel et éternel kimono - L'Orient-Le Jour

«Manteau» par Paul Poiret, Paris, 1913.

Un tour virtuel

Un aperçu de l’exposition «Kimono: Kyoto to Catwalk»est déjà disponible sur le site du V&A, accompagnée d’un petit film (également disponible sur YouTube: https://www.youtube.com/watch ? v=hG6UVZexmc8&feature=emb_rel_end). Ce tour virtuel guidé par Anna Jackson, conservatrice du département des arts asiatiques du musée, nous apprend qu’au XVIIe siècle, période de grande prospérité dans l’archipel, la classe marchande, considérée comme inférieure vu qu’elle profite du travail des autres, cherche à afficher son pouvoir. À cet effet, elle récupère le vêtement iconique des artisans et des agriculteurs qui la regardent de haut, et l’interprète avec une richesse qui commence à le transformer en œuvre d’art. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on constate un changement dans les motifs qui deviennent plus minutieux, plus petits, mais étalés sur toute la surface du tissu. Au XIXe siècle, l’accent se porte en particulier sur les motifs de la ceinture, ou obi, qui devient de plus en plus large pour mieux mettre en valeur et offrir de surface à la beauté des broderies. Cependant, alors que le kimono se transmet de génération en génération, l’obi se détruit à l’usage à force d’être noué et dénoué, et l’exposition du V&A n’en comprend que deux exemplaires significatifs. Le kimono est ensuite décodé selon sa fonction, entre les différentes étapes des cérémonies de mariage, par exemple, où il passe de la virginité du blanc à des motifs de plus en plus riches. Les marchands envoyaient directement aux clientes les tissus à choisir, selon une stratégie ancestrale de «placement de produit». Les kimonos masculins anciens sont plus rares et difficiles à trouver, la pauvreté de leurs ornements n’en ayant pas fait des pièces de collection comme ce fut le cas pour les kimonos féminins. Le théâtre kabuki du milieu du XVIIIe siècle laisse en revanche de somptueux exemplaires de kimonos portés par les acteurs qui jouaient des rôles féminins. Le plus célèbre d’entre eux, à l’époque, avait été le premier à porter un tissu à carreaux, devenu par la suite un classique intemporel dans le monde entier. Un autre, issu d’une célèbre dynastie d’acteurs kabukis, s’affichait dans un kimono portant un curieux motif de cercles et de faucilles, calligraphie de phonèmes qui disent «Je m’en f…», ou «Kamawanu». Le kimono devient ainsi un manifeste qui permet une puissante expression de soi, en plus de se comporter en véritable œuvre d’art publique et ambulante, ajoutant beauté et richesse au simple spectacle de la rue.