20/07/2022 Par acomputer 614 Vues

Ayurvéda, l'Inde soignante

Par Valérie Lejeune
Publié , Mis à jour

Massages, méditation, lecture à volonté, fruits et légumes, silence et chants d'oiseaux… Deux semaines d'ayurvéda, médecine traditionnelle indienne, suffisent paraît-il, à réparer l'Européen le plus stressé. Test grandeur nature.Ayurvéda, l'Inde soignante Ayurvéda, l'Inde soignante

Deux semaines sans viande, sans téléphone, sans internet, sans télé, sans voiture, sans bronzer, sans pain ni vin, bref, des vacances sans «dirladada». Quelle idée! Me voilà pourtant débarquant à Trivandrum, au sud-ouest de la corne de l'Inde, avec à la main, une valise minuscule, et sur le cœur, une malle ou brinquebalent quelques deuils, un peu trop de sucre, un rien de cholestérol, et quatre ou cinq kilos à perdre. L'air est doux, les vaches, sacrées, et la voiture, climatisée, qui me dépose en ce petit matin brumeux à la porte du Kalari Rasayana. D'emblée, le docteur Sankar Sreelal me reçoit dans son petit bureau, près d'une grande piscine dont je ne profiterai pas, l'ayurvéda déconseillant les fatigues et différences thermiques inhérentes à la natation. Nous sommes tous deux vêtus de blanc, lui porte un pantalon et une longue chemise de popeline immaculée, et moi l'un des deux pyjamas trouvés sur ma table de nuit et qui seront, pendant deux semaines, mon uniforme quotidien. Une heure durant, il s'enquiert de façon très complète de mon état physique, «il faut, dit-il, être en assez bonne santé pour ce traitement» et m'expose en anglais les différentes phases du manasanthi, cure antistress de quatorze jours où l'on purgera mon organisme de ce qui l'encombre à l'aide de yoga, de massages et d'herbes médicinales avant de le remettre en ordre de marche. Tension, poids, pouls, le sujet est déclaré bon pour le service ; avis que corrobore le Dr Poormina Streelal, la diététicienne qui n'a pas son pareil pour expliquer aux fanas de la tête de veau l'importance d'un régime végétarien dans la normalisation d'un métabolisme. Une fois le diagnostic posé, le domaine de l'ancien hôtel Tranquil Palms, au bord du lac Pravur devient votre planète. Un électricien et sa femme, maîtresse d'école, avaient rêvé il y a quelques années d'installer dans ce lieu magnifique, un club de vacances. Mais l'idée a fait long feu et Jose Dominic, directeur général de la chaîne CGH Earth a repris, il y a quatre ans, la main sur les trois hectares de palmiers abritant une quarantaine de bâtiments et de bungalows pour transformer l'endroit en un hôpital ayurvédique.

La vie s'installe, réglée par la feuille de route déposée chaque soir dans votre chambre. Du yoga de six heures moins le quart, où le calme Dr Ashley P. Jayan vous révèle la raideur prodigieuse d'une anatomie qui jusqu'alors vous semblait plutôt souple, aux trois grains de raisin que dispose chaque soir près de votre lit la jolie Manjusha, tout est dit. Tout est consigné des massages, méditations, repas, en-cas, galères et câlineries qui rythmeront la cure. Les deux premiers jours, on est simplement surpris. En bien, s'entend. Les tables font la loi. Celle des repas d'abord, servis sur des plateaux ronds en laiton nappés d'une feuille de bananier. On déjeune et l'on dîne en silence, sans chatouiller son portable ni lire, ni faire de mots croisés, ni bavarder avec son voisin. La nourriture étant ce qui permet la vie, il s'agit d'être à son affaire. Le spectacle est devant vous, sur le lac, et aussi dans ces godets de métal emplis de salades, de riz divers, de laitages, de crèmes, de consommés, de veloutés, duxelles, brunoises et autres macédoines délicieusement épicés. Les tables de massage, ensuite. On s'y allonge presque nu sous les paumes douces et petites de Soumya et Greeshma, l'une à tribord, l'autre à bâbord. Après une prière à Jésus, les deux jeunes femmes, qui manient l'huile de palme comme personne, tranchent, lissent, tapotent, cisaillent, chatouillent, grattent, bouchonnent, frictionnent, effleurent, empoignent et malaxent ce pauvre corps mal remis du voyage.

Les quatre jours qui suivent sont un peu moins amusants car on y réalise une sorte de décapage de l'organisme. Trois jours durant, le Ghee, on prononce «gui» (du beurre que l'on fait chauffer pour en extraire l'eau et le clarifier), va véhiculer dans les moindres recoins de l'organisme du patient, et selon les besoins détectés par le médecin, les principes actifs de poudres médicamenteuses tirées de plantes. Le praticien, tourné vers l'Est, se recueille, le temps de se mettre le dieu Ganesh dans le stéthoscope, puis vous tend le breuvage jaune dans un gobelet de laiton «pour que vous ne vous préoccupiez pas de la dose». L'idée: boire cul sec, comme une vodka. Il faut une demi-seconde pour se rendre compte que l'on préférerait sûrement un bon godet d'Absolut et quelques heures pour se demander si l'on a bien fait, vraiment, de sacrifier deux semaines de vacances à boire du beurre fondu. Sentiment renforcé, le 5e jour par la purge qui clôt les

Le sixième jour est une renaissance.

Ayurvéda, l'Inde soignante

hostilités et vous cloue chez vous, la tripe fâchée et le moral en berne. Au ghee l'allant neuf! Le sixième jour est une renaissance, une autre histoire qui parle de calme, de silence et des joies de l'obéissance. Ce n'est pas que la sagesse vous soit subitement montée aux cervicales, non, c'est simplement que vous commencez à entrevoir le confort d'une existence où l'on est libéré de tout choix. Le temps s'arrête, et s'installe une quiétude où ne pénètrent ni l'ennui, ni la faim, ni le désir, mais où le parfum d'une fleur de frangipanier vous tire des larmes. Les massages se succèdent, jamais les mêmes, maniant tour à tour la poudre de riz qui, appliquée avec des tampons chauds vous laisse sur la peau un parfum d'entremets, l'huile, ou même la chaleur, puisque à l'issue de certaines séances, on vous enferme dans une étuve, ou bien on vous fait couler un bain brûlant dans une baignoire de cuivre rouge.

La relaxation aussi a sa part, enseignée par une frêle Indienne à voix de cristal, qui vous apprend à compter et recompter toutes les parties de votre corps. Les nuits succèdent aux jours. Le reste n'est qu'un chapelet de détails infimes et capitaux. Il y a les lumières mauves des petits matins, les poissons que l'on nourrit de riz à l'heure d'un thé que l'on ne boit pas, le goût bouleversant du curry sur certains choux-fleurs, ou celui du premier papadam, crêpe épicée et craquante, que l'on vous sert juste après la fin du ghee, et qui, littéralement, vous explose aux papilles. Le lac est comme une estampe vivante, un cinéma permanent. On y suit avec passion l'interminable plan-séquence montrant les gestes ronds d'un pêcheur qui fait une senne sous le regard gourmand d'une aigrette blanche ; on y guette le sanglot lointain du Rajadhani, express rouge qui relie le Kerala à Delhi, au nord, et qui passe au loin, sur un pont de fer que la chaleur fait trembler sur le coup de midi.

La pesée quotidienne révèle un corps qui fond ; le tensiomètre, un cœur apaisé. Dans trois jours, les portes du Kalari Rasayana s'ouvriront et vous rendront à la vie civile, aux frites, à l'ananas en boîte. Une visite à Nair Narayanan, le chef du restaurant, s'impose, comme on ferait provision de sérum antivenin en partant pour un trek dans la Pampa. Venu à l'ayurvéda après des années de cuisine traditionnelle, ce fondu de fruits de mer a, pour expliquer son art, des gestes précis et de grandes mains aux paumes roses. Curcuma,coriandre, cumin, cardamome, poivres, muscade et cannelle emplissent des coupelles et voisinent avec l'ail, l'oignon et le gingembre hachés finement. Dans un caquelon épais, Nair fera fondre une bonne noix de ghee, revenir l'ail, frémir les épices qu'il sèmera en pluie avant de jeter un demi-verre d'eau qui bouillonnera furieusement. Les carottes coupées fin et les haricots verts en très petits morceaux rejoindront l'enfer qu'apaisera le chef en muselantle brûleur de la cuisinière qui ressemble à un oursin bleu. La pâte de coco viendra épaissir la préparation assaisonnée d'un peu de coriandre et d'une pincée de garam masala. On prendra le livret de recettes pour se souvenir, et lorsqu'on aura faim, la ligne 7 du métropolitain: à Paris, l'Inde commence derrière la gare de l'Est…



Carnet de voyage

Kalari Rasayana

Accrédité par le gouvernement indien, le groupe CGH Earth gère deux établissements au Kerala. Aménagé au sud de l'Etat sur un domaine de plus de 3 hectares planté de cocotiers en bordure du lac Paravur, le Kalari Rasayana (le chant du lac) est le plus récent. Dans un environnement propice au calme et à la méditation, il propose 22 chambres tout confort et 11 salles de traitements.

Organiser son voyage

Spécialiste du voyage sur mesure dans les plus beaux endroits du monde, Terres de Charme (01.55.42.74.10 ; www.terresdecharme.com) travaille depuis plusieurs années avec les centres CGH Earth et plébiscite la cure antistress Manasanthi qui se déroule sur 14 jours. Le voyagiste propose un forfait incluant les vols au départ de Paris sur Etihad, les transferts A/R depuis et vers l'aéroport de Trivandrum, l'hébergement en pension complète en suite au Kalari Rasayana et le programme de soins complets: à partir de 6 710 € pour une occupation double et de 7 500 € si vous êtes seul.

Bon à savoir

Pour un séjour réussi, laisser chez soi son lait hydratant, son huile solaire, son maillot de bain, ses robes de gala, son shaker à cocktails. En revanche, emporter: une brosse à ongles avec de l'eau oxygénée (l'huile de massage est jaune), 2 jolis foulards pour aller déjeuner entre deux soins en ressemblant à La Jeune Fille à la perle, une brosse ronde et un sèche-cheveux pour le moment où l'on retire le foulard, Les Travailleurs de la mer (Victor Hugo), le dernier Sylvain Tesson, de la laine à tricoter (avec un modèle difficile!).