Réglementation incendie de la construction biosourcée : la filière sous le choc

21/04/2022 Par acomputer 774 Vues

Réglementation incendie de la construction biosourcée : la filière sous le choc

Batirama.com
17/09/20211

Daté du 20 juillet 2021, un document résume en 20 pages la «doctrine» de la Préfecture de police de Paris en matière de protection des constructions biosourcées contre l’incendie.

Légende : Essai feu qui a permis à la construction paille d’aborder le secteur des Etablissements recevant du public

Le 17 juillet s’achevait à Paris le 10e Forum International Bois Construction, qui s’était fixé l’ambition de porter dans la capitale le message de la construction biosourcée comme évolution nécessaire face au changement climatique.

Dans les allées du Forum, certains congressistes laissaient échapper leur colère face à la façon dont les représentants des sapeurs-pompiers de Paris remettent en cause à la fois les essais-feu et la qualité des constructions, portés par l’organisme Adivbois.

L’Atelier Incendie d’Adivbois a été créé il y a cinq ans pour faciliter le développement d’une réglementation incendie adapté au cadre nouveau des immeubles biosourcés de moyenne hauteur que cet organisme est censé promouvoir.

Il réunit une partie des plus grands spécialistes de la protection contre l’incendie, et il a également ouvert sa porte aux sapeurs-pompiers, qui, pour des raisons de commodité, sont les sapeurs-pompiers de Paris, directement rattachés, via la Préfecture de Police de Paris, au ministère de l’intérieur.

Le traumatisme de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame est-il en cause dans la rédaction de la doctrine par les sapeurs-pompiers de Paris? ©JT

Des travaux menés par Adivbois pour élaborer une réglementation

Réglementation incendie de la construction biosourcée : la filière sous le choc

Depuis cinq ans, l’atelier avance péniblement. Pourtant, certains intervenants, qui ont connu une situation analogue au cours des années 70 avec la mise en place d’une réglementation sur la construction de grande hauteur en acier, estime qu’en comparaison, le rythme d’avancement des travaux vers l’élaboration d’une réglementation adaptée est très rapide.

Mais voici que la RE2020 arrive et préconise, face au réchauffement climatique, le développement massif de la construction biosourcée, donc aussi celle de moyenne hauteur. Comme la date de mise en route de la RE2020 a été fixée à début 2022, le gouvernement a convoqué dès le mois de février 2021 une commission interministérielle destinée à accorder les points de vue du ministère de l’environnement, de l’intérieur, du logement et autres.

Réglementation incendie de la construction biosourcée : la filière sous le choc

De cette façon, le débat technique est aussi devenu un débat politique entre différents ministres du gouvernement. Parallèlement, l’Atelier Incendie AdivBois a continué de siéger sous la direction de François Consigny, toujours avec la présence de représentants des sapeurs-pompiers de Paris.

Discours enflammé pour la construction bois du ministre de l’agriculture à l’occasion du 10e Forum International Bois Construction, quatre jours avant la publication de la doctrine des Sapeurs-pompiers de la Préfecture de Police de Paris. ©JT

Une brochure de 20 pages résume la doctrine sécurité incendie

Le Forum Bois de Paris a été salué par le ministre de l’Agriculture, M. Denormandie et par la ministre du Logement, Mme Wargon. Le ministre de l’Agriculture a communiqué sa foi dans le développement de la construction biosourcée.

Le programme des conférences, élaboré pour sa plus grande part fin 2019, ne pouvait prendre en compte les avancées de la commission interministérielle initiée début 2021, et, en accord avec AdivBois, a choisi de refléter d’autres centres d’intérêt de cet organisme de promotion du bois.

Trois jours après la fin de la manifestation parisienne, et huit jours avant la parution de l’arrêté relatif à la RE2020, la direction des Transports et de la protection du public de la Préfecture de Police de Paris, (et plus précisément la sous-direction de la sécurité du public avec la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, le laboratoire central de la Préfecture de Police et le service des architectes de sécurité), ont publié une brochure d'une vingtaine de pages établissant leur point de vue en matière sécurité incendie dans les constructions biosourcées, dont la plupart des acteurs de la construction ne prennent conscience qu’au moment de la rentrée avec un certain effarement.

La doctrine des sapeurs-pompiers instaure un point de vue général

Le document ne s’érige pas en réglementation mais instaure un point de vue général, une doctrine, qui devra prévaloir dans l’instruction des dossiers que traitent les sapeurs-pompiers. Tout le monde connaît la puissance des sapeurs-pompiers qui peuvent, en France, suspendre la livraison d’un Bâtiment au tout dernier moment.

Par ailleurs, les sapeurs-pompiers de Paris constituent une sorte de référence nationale, la doctrine parisienne est vite appliquée ailleurs qu’à Paris et à la Petite Couronne, dans la pratique. Et comme les sapeurs-pompiers dépendent du ministère de l’intérieur, donc du cœur de l’Etat, tout le monde est circonspect.

Parois bois apparentes ou encoffrées?

Sur le plan technique, le débat en cours est compliqué et d’ailleurs, la doctrine des sapeurs-pompiers vise à simplifier les choses. En les simplifiant encore, l’une des pierres d’achoppement de la situation actuelle est la possibilité ou non de construire en hauteur avec des parois intérieures ou extérieures apparentes en bois.

La construction tertiaire biosourcée exploite volontiers ces à-plats chaleureux de matériaux structurels comme le CLT ou le BLC (bois lamellé-collé). Même dans les logements de moyenne hauteur comme Sensations à Strasbourg, ou, initialement, la Cartoucherie de Toulouse, cette option a été retenue.

Hélas, en avril 2018, un essai d’embrasement de façade réalisée par Efectis et financé en partie par les maîtres d’ouvrages de l’immeuble Sensations alors en cours de travaux, a fait comprendre que les parois apparentes en bois pouvaient contribuer à relancer un incendie même après l’extinction de sa cause première.

Vêture en Douglas encoffrant la paille pour la résidence Bertelotte à Paris 15e. Un bâtiment précurseur? ©JT

Les surfaces apparentes en bois couvertes par des plaques de plâtre

Réglementation incendie de la construction biosourcée : la filière sous le choc

Suite à l’essai Efectis, et dans un contexte fortement marqué par la tragédie de Grenfell à Londres, certains projets en cours d’exécution, comme la Cartoucherie, ont été révisés afin de couvrir les surfaces apparentes en bois par des plaques de plâtre.

Parallèlement, une réflexion européenne s’est engagée pour établir dans quelle mesure ces surfaces apparentes en bois peuvent être préservées sans nuire à la sécurité du bâtiment. En peu de temps, la Grande-Bretagne a lancé une batterie d’essais qui ne sont pas normés, mais qui semblent déterminants pour comprendre la situation.

La France comptait démarrer des essais du même ordre cette année mais les problèmes d’approvisionnement ont fait décaler la date de démarrage à fin septembre 2021.

Une fin d’année tendue pour le biosourcé avec l'entrée en vigueur de la RE2020

De sorte que l’on se retrouve en fin d’année 2021 avec l’imminence de l’entrée en vigueur de la RE2020 censée favoriser l’approche biosourcée, l’attente de l’analyse des tests européens et français et une doctrine de la préfecture de police de Paris dont on se demande s’il ne s’agit pas simplement d’une position maximaliste dans le cadre de négociations de la commission interministérielle.

Il semblerait que la filière ne compte pas développer une contre-doctrine, mais elle fait front de façon unie, d’une réunion de la commission interministérielle à la suivante. On entend également parler des courriers, voire de procédures juridiques auprès du tribunal administratif.

Bref, la riposte ne semble pas encore spécifiée et d’ailleurs, on ne sait même pas qui sont les soutiens de cette doctrine des sapeurs-pompiers, en dehors de la Préfecture de Police. Le ministère de l’intérieur est-il réellement impliqué? La position de la mairie de Paris n’est apparemment pas clarifiée.

Cachez ce bois que je ne saurais voir! Auditorium conçu par Marie Schweitzer avec Lifteam à Paris: selon la doctrine des sapeurs-pompiers, la distinction réglementaire entre les usages des bâtiments deviendrait caduque.© JT

Une rentrée compliquée pour la filère bois

Les acteurs de ce feuilleton sont sous le choc car la publication de la doctrine des sapeurs-pompiers s’est produite sans concertation avec les autres membres de l’Atelier Incendie d’AdivBois. Le marché des études de la construction bois est fortement perturbé.

«Les bureaux d’études sont contraints de développer des solutions selon deux éventualités, l’éventualité de la doctrine et celle de la réglementation actuelle, ce qui nous amène à faire le travail deux fois», explique un bureau d’études bois.

Les maîtres d’ouvrages comme Paris Habitat, qui vient d’inaugurer la résidence Bertelotte (Paris 15e) avec des parois en bois isolées de paille, peinent à partager les louanges et les extrapolations politiques de tout bord par rapport à cette réalisation complexe, biosourcée et utilisant la paille, qui devient désormais encore plus difficilement reproductible.

Un «en même temps» qui ne passe pas

La publication de la doctrine des sapeurs-pompiers met à mal la stratégie écologique du gouvernement à un moment où l’écologie risque de devenir le sujet numéro un de la campagne électorale, compte-tenu les conclusions catastrophiques du dernier rapport du GIEC.

Pour l’instant, l’escarmouche estivale n’a été perçue que par des initiés. Mais sa portée est telle que le bruit des balles ne va pas tarder à siffler sur le terrain politique.

Source : batirama.com/ Jonas Tophoven