Comment Decathlon se met à fond dans l’innovation
Mais l’essentiel des tests se fait toujours dans quatre laboratoires. L’un étudie la morphologie, l’autre la perception et le ressenti, le troisième, le confort thermique. « Quand vous faites du sport, l’inconfort majeur, c’est d’avoir trop froid, trop chaud ou d’être mouillé », indique Zied Cheheb, l’expert en confort thermique. Grâce à quatre chambres étanches dernier cri, le chercheur recrée l’effet du vent, de l’humidité, ou du soleil et fait varier la température de - 40 à + 40 degrés, afin de vérifier si les équipements de Decathlon restent protecteurs et confortables. Les cobayes ? Des êtres humains ou Newton, un mannequin-robot, équipé de nombreux capteurs. « Nous avons aussi des mannequins de pieds, de mains, ou de tête pour évaluer, par exemple, l’apparition de buée sur un masque de plongée », énumère Zied Cheheb. En 2019, grâce à cette équipe, Decathlon a pu sortir un équipement pour le grand froid polaire.
Au plus près du terrain
A trois couloirs de là se trouve le quatrième laboratoire, sur le mouvement. Lancé sur une plateforme de force, un skateboarder essaie de nouvelles protections pour fesses et genoux, destinées aux surfeurs sur neige, sous l’œil de caméras haute fréquence.
Le Sportslab est la caution scientifique de Decathlon. « Tous les produits passent ici, en phase de développement ou en test qualité, de performance », souligne Zied Cheheb. Sa quarantaine d’experts et ses 850 mètres carrés de labos ne constituent pourtant qu’une partie des moyens affectés par le distributeur nordiste à l’innovation, son arme fatale. Au total, 270 chefs de produits, 900 ingénieurs et 300 designers y consacrent leurs journées. De Quechua à Nabaiji en passant par Domyos, tous planchent sur les 85 marques propres afin de créer des produits au plus près du terrain et des pratiques du client.
Pour cela, Decathlon a ouvert huit sites de conception et de recherche, spécialisés par activité. Le Mountain Store, temple de la randonnée et des sports d’hiver ? A Passy, près de Chamonix. Les équipes expertes en voile ? Direction La Rochelle. Celles qui planchent sur les sports d’eau ? Cap sur Hendaye. « Mon fils a été testeur du masque Easybreath, raconte ainsi Annabel Fournier, une mère de trois ados bodyboarders, qui vit dans cette ville du Sud-Ouest. Nous en avons acheté plusieurs. Il permet de respirer librement sans boire la tasse, est plus facile à utiliser qu’un masque et un tuba, et ne comprime pas le visage. » Pour elle, aucun doute, c’est l’invention marquante de Decathlon. Dévoilé en 2014 après sept ans de développement, il a vu ses ventes décupler depuis, et affiche l’excellente note client de 4,6/5.
Pour les équipes de Decathlon, l’Easybreath est une consécration. Depuis presque dix ans, elles s’efforcent de recréer le phénomène de l’iconique Tente 2 seconds, lancée en 2005 et écoulée à plus de 10 millions d’exemplaires dans le monde. « Ce succès phénoménal a montré que l’innovation n’était pas que la cerise sur le gâteau, mais pouvait être le gâteau, décrypte Irwin Wouts, directeur Innovation Sport & Process de Decathlon. C’était un cas de transformation de marché. Cela nous a donné confiance pour innover, et essayer de reproduire cette histoire. »
Pour le plus grand nombre
Depuis, chaque année, le distributeur lance quelques dizaines de produits de rupture, et une centaine d’améliorations. Le 4 mai, il a ainsi dévoilé un surf et une planche à voile gonflables, une brassière pour des femmes ayant subi une mastectomie, et Quick-Zip, un système qui permet aux mordues de vélo de faire une pause aussi rapide que leurs coéquipiers masculins.
A chaque fois, l’obsession est la même : rendre le produit accessible au plus grand nombre, quels que soient le sexe, le niveau sportif, l’état de santé et le budget. Grâce à un choix rigoureux des matériaux, un design optimisé, et des frais marketings réduits, Decathlon affiche un rapport qualité-prix imbattable. En six ans, le prix de l’Easybreath a fondu de 45 à 30 euros ! « Decathlon a su créer un discount précurseur, précis, et très technique, salue Rodolphe Bonnasse, PDG de CA Com. Il a prouvé que “low cost” ne rimait pas avec “low quality” et que l’innovation n’était pas forcément la signature des grandes marques. Cette stratégie en a fait le leader. »
Avec 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, l’enseigne de la famille Mulliez domine le marché. Ses 1 665 magasins dans 64 pays, et la puissance de son actionnaire, sixième fortune française selon le classement de Challenges, amortissent ses dépenses R&D. Les concurrents ont dû s’adapter. « Notre innovation se concentre sur les marques internationales, reconnaît Benjamin Robinet, directeur marketing et digital de Go Sport. Elles prennent en charge la R&D et confèrent un aspect statutaire que n’ont pas les marques propres. »
Un élément que Decathlon, enorgueilli par la performance de ses produits, a fini par oublier. En 2018, le distributeur a fait le ménage dans les grands noms du sport… et vu ses ventes s’effriter. Depuis, il a réintroduit dans ses rayons quelques labels iconiques comme Nike et adidas. Les Français ne lui en ont pas tenu rigueur : en 2020, malgré la fermeture des magasins durant trois mois, ils ont élu Decathlon deuxième enseigne préférée, selon l’étude d’EY Parthenon.
Test de course dans une des quatre chambres thermiques du centre. Ce lieu étanche recrée l’effet du vent, de l’humidité, ou du soleil, et fait varier la température pour vérifier si les équipements Decathlon restent protecteurs et confortables. (Photos : Bruno Delessard pour Challenges)
Test de skate au Sportslab de Decathlon, à Lille. Le skateboarder essaie de nouvelles protections sur une plateforme de force. (Bruno Delessard pour Challenges)
Claire Bouleau(envoyée spéciale à Lille)