Comment Renault en est-il arrivé là ?
Comment le groupe automobile, naguère classé au rang de numéro un mondial grâce à son alliance avec Nissan et Mitsubishi, a-t-il pu se retrouver dans une situation financière aussi critique ? Au point d'envisager la fermeture ou le redimensionnement de pas moins de quatre sites en France, dont celui de Flins, comme l'a révélé une information du Canard Enchainé. Le Premier ministre pourrait néanmoins intervenir pour empêcher de telles décisions, tandis que la marque au losange vient d'obtenir un prêt garanti par l'État, à hauteur de 5 milliards d'euros.
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Des difficultés antérieures à la crise sanitaire
Les synergies engagées avec l'Alliance et ses 10 millions de voitures auraient dû permettre à la marque française de figurer parmi les groupes les plus compétitifs au monde. Certes, la crise du coronavirus est un coup dur pour le groupe qui voit ses principaux marchés exposés, puisque après l'Europe (près de la moitié des ventes), ce sont la Russie et l'Amérique Latine qui accusent désormais le coup et font plonger les ventes de Renault.
Mais, en réalité, les difficultés de Renault sont antérieures à la crise du Covid-19, et cette dernière ne fait que mettre à nu des fondamentaux extrêmement affaiblis et dont la détérioration avait commencé bien avant, sous l'ère Carlos Ghosn.
Le principal péché de Renault réside dans la force de sa marque incarnée par sa stratégie produit. Au début des années 2010, Renault opère une plus qu'urgente -et réussie- refondation de sa gamme sous la férule d'un nouveau designer, Laurens van den Acker: nouveau langage de style, plus de rondeurs, plus de glamour... De nouveau, Renault plaît et ses ventes repartent à la hausse. Clio va incarner cette renaissance puisque très vite la petite citadine va grimper dans le palmarès et devenir numéro un du segment en Europe. L'arrivée de Captur va également positionner Renault sur un segment encore vierge et l'élever au statut de référence d'un segment où se disputeront huit ans plus tard pas moins de 20 modèles.
Mais les succès de Renault s'arrêteront là, et ce, en dépit d'un très prolifique calendrier de lancement (jusqu'à quatre nouveautés par an).
Succession de flops
Les nouvelles Mégane et Scenic ne rencontreront qu'un succès très relatif. Tandis que Talisman, censé remplacer la mal-aimée Laguna, sera un échec, tout comme le nouvel Espace. Sur le segment des SUV, qui achève un cycle ininterrompu de près de dix ans de hausse à deux chiffres, Renault est passé à côté d'une opportunité. Kadjar s'est beaucoup moins vendu qu'un Peugeot 3008 dont il était pourtant le concurrent, tandis que le Koleos n'a pas rencontré son public. Même Alpine, la marque sportive haut de gamme, est en danger puisque son usine de Dieppe fait partie des sites menacés de fermeture.
Ces flops sur les segments supérieurs traduisent l'échec de la stratégie de marque de Renault. Ainsi, le constructeur n'a pas été capable d'entretenir sa légitimité sur ces segments. Pire encore: les mix-produits des ventes étaient très peu élevés, c'est-à-dire que l'essentiel des ventes s'effectuait sur les premiers niveaux de finitions, autrement dit les moins chers, quand Renault ne se livrait pas à des immatriculations dites tactiques (véhicules de démonstration ou auprès de loueurs). Kadjar n'était même pas disponible en finition Initiale Paris, la griffe haut de gamme du losange. Les analystes notaient en outre qu'à l'étranger les ventes étaient surtout du fait de la gamme Entry, les produits entrée de gamme, comme ces produits fabriqués par Dacia en Europe, la filiale roumaine, mais commercialisés sous la marque Renault en Inde ou en Russie, non sans succès d'ailleurs, comme le célèbre Duster ou le Sandero.
Perte de vitesse et crise au sommet
C'est cette détérioration de la marque que paie aujourd'hui Renault. En 2019 déjà, la marge opérationnelle du groupe s'était affaissée à moins de 5%, soit presque deux fois moins que son insolent compatriote, PSA. Jusqu'ici, Renault publiait des résultats largement abondés par la contribution de Nissan dont il détient 44% des parts et qui pouvait représenter jusqu'à la moitié des profits du groupe. Sans parler des très bonnes performances financières de sa très rentable filiale bancaire RCI Bank.
Malheureusement, 2019 a aussi été l'année de la chute des ventes de Nissan, et sa contribution n'a représenté que 242 millions d'euros de profits en 2019 contre 1,5 milliard sur l'exercice fiscale 2018.
Même sur l'electromobilité, Renault n'a pas su creuser l'écart malgré sa longueur d'avance. Sa gamme électrique est aujourd'hui incarnée par la seule Zoe là où les concurrents disposent désormais de citadines mais également de SUV 100% électrique comme le Peugeot 2008.
Enfin, Renault doit composer avec un management qui sort de près d'un an et demi de crise. C'est tout l'état-major du groupe qui a été décapité entre la spectaculaire arrestation de Carlos Ghosn en novembre 2018 et le renvoi de Thierry Bolloré un an plus tard.
Renault n'accueillera son nouveau directeur général que le 1er juillet prochain. Luca de Meo aura pour mission de repenser une stratégie au groupe automobile français. Mais l'urgence oblige Clotilde Delbos, la directrice générale par intérim, à prendre des décisions structurantes. L'année 2020 promet d'être musclée pour un groupe déjà durement éprouvé.
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Nabil Bourassi5 mn
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