L'asclépiade, la plante miracle à tout faire
C'est une plante incroyable qui pousse comme du chiendent au Canada. L'asclépiade produit une fibre d'une douceur incomparable qui tient chaud sur les glaciers de l'Everest et peut dépolluer les océans... Un ingénieur québécois a redécouvert ce qui était au XVIIe siècle, à la cour de France, l'étoffe des rois. Et va ouvrir une nouvelle «route de la soie» qui sillonnera l'Amérique du Nord du Québec jusqu'au Mexique.
Moissonner un champ de mauvaises herbes, cela ne s'était encore jamais vu. Cet automne, au Canada, dans la vallée du Saint-Laurent, c'est pourtant ce qu'il s'est passé. De là à penser que les Québécois sont tombés sur la tête... Quelques dizaines d'agriculteurs se sont en effet laissé convaincre d'ensemencer l'asclépiade, une plante envahissante qui pousse comme du chiendent en Amérique du Nord, au bord des autoroutes et dans les terrains mal entretenus. La bête noire de tous les Canadiens, sauf pour François Simard. Ce n'est pas sa jolie fleur rose qui intéresse l'ingénieur mais son fruit en forme de gousse qui laisse flotter au vent comme des dizaines de fils blancs, plus doux que le coton, ce qui vaut à la plante le surnom de «soyer du Québec».
Le spécialiste du textile sait qu'il a déniché un trésor
Il y a six ans, ce spécialiste du textile a été mandaté par la filière pour trouver de nouvelles matières premières québécoises, autres que le lin et le chanvre. Objectif de la mission: sauver le secteur économique ravagé par les délocalisations. Pas si facile. Mais lorsque François Simard tombe sur le «Traité des asclépiades», publié en 1810 par Sonnini de Manoncourt, membre de la Société royale d'agriculture de Paris, il est convaincu qu'il vient de dénicher un trésor. A la lecture du manuscrit, il comprend qu'Asclepias syriaca tient plus de la bonne que de la mauvaise herbe. Et qu'elle a déjà fait ses preuves. Les Amérindiens utilisaient ses jeunes pousses dans leur cuisine, sa tige pour confectionner des cordages, sa racine comme contraceptif ou pour guérir la dysenterie, sa sève pour les verrues et la tisane pour la toux. Au XVIIe siècle, pas rancuniers, ils transmirent leurs connaissances aux premiers explorateurs français, qui s'empressèrent d'envoyer quelques plants à la cour. Ce qui attira l'attention de Louis XV fut surtout la douceur de ses fils, avec lesquels les Indiennes fabriquaient de douillets cocons à leurs bébés. Le roi de France accorda à son bonnetier, sieur Jacques La Rouvière, l'exclusivité du tissage et de la vente de la fibre. Manque de chance, en 1759, le général anglais Wolfe remporta devant la ville de Québec la bataille des plaines d'Abraham sur les troupes du général Montcalm, ce qui mit fin au régime français au Canada ainsi qu'aux intentions d'exploiter l'asclépiade: pour ne pas compromettre le commerce florissant du coton et de la soie dans leur empire, les nouveaux maîtres du Canada enterrèrent le projet.
Ultra chaude, ultra imperméable, ultra absorbante
Deux siècles plus tard, dans les années 2000, l'Américain Winthrop Phippen, chercheur à la Western Illinois University, confirme les qualités uniques de la fibre d'asclépiade: ultra chaude, ultra imperméable, ultra absorbante. Malgré ces résultats prometteurs, le gouvernement américain préféra investir dans les biocarburants et retira son financement. Le programme de recherche s'arrêta.
La soie d'asclépiade ne se tasse pas, ne se mouille pas, est obtenue sans souffrance animale
«En 2010, à la lecture des travaux de Winthrop, j'ai décidé de donner tout mon temps et mon argent dans l'exploitation de l'asclépiade», raconte François Simard, persuadé qu'il a sous la main une nouvelle fibre textile naturelle, une alternative 100% écologique à la production de coton. «Aux Etats-Unis, 40% de l'eau douce utilisée par l'agriculture est destinée à l'irrigation des champs de coton, grands consommateurs de pesticides et d'engrais, explique-t-il. L'asclépiade, elle, ne nécessite ni produits chimiques, ni arrosage pour produire une soie plus fine que le coton et aux caractéristiques isolantes et thermiques incomparables. » Même la plume d'oie ne fait pas le poids: la soie d'asclépiade, appelée aussi soie d'Amérique, est aussi légère et deux fois plus chaude. Elle ne se tasse pas, ne se mouille pas et, cerise sur le gâteau, est moins chère! «Et elle est obtenue sans souffrance animale», ajoute le Canadien écolo et végétarien.
Mais l'homme doit convaincre les agriculteurs et, en premier, Daniel Allard: «Lorsque François m'a appelé pour me parler de l'asclépiade, j'ai pensé qu'il y avait une prolifération de mauvaises herbes dans ses champs, se souvient Daniel, qui a déjà travaillé avec l'ingénieur. Et quand il m'a demandé d'en cultiver, j'ai cru à une plaisanterie. Il est revenu à la charge quelques jours plus tard avec le résultat des études menées par l'université américaine. Là, j'ai compris son enthousiasme et je l'ai suivi dans l'aventure.»
A lui maintenant de recruter des cultivateurs volontaires autour de sa ferme de Saint-Tite, dans la province de Mauricie. Les arguments ne manquent pas. L'asclépiade est une plante vivace qu'il faut semer seulement tous les dix ans et qui pousse toute seule sur des sols pauvres, impropres à toute autre culture. A l'argument écologique, François en ajoute un économique: il promet un prix d'achat de la récolte à l'hectare équivalant à celui des céréales. De quoi convaincre le plus sceptique des agriculteurs. Et 75 exploitations pionnières font désormais partie du projet. Toutes situées sur la route de migration du monarque, le papillon emblématique du Canada, dont la larve se nourrit exclusivement de la fleur d'asclépiade.
Les premiers manteaux doublés de soie d'asclépiade sont en vente sur Internet
Pour les premières moissons, seules les gousses sont récoltées et transportées à Saint-Tite dans l'unique usine de transformation. Chacune contient 205 graines auxquelles sont rattachées 788 fibres, soit près de 5000 mètres de soie, qu'il faut séparer, brosser, lier avant de mettre en rouleaux le fil thermo-isolant pour la commercialisation. Un procédé que François Simard et son équipe ont inventé de A à Z. Un petit groupe d'ateliers de confection a déjà acheté la totalité des 50 tonnes de la récolte 2016. Et les premiers manteaux doublés de soie d'asclépiade sont déjà en vente sur Internet (altitude-sports.com).
Daniel Allard n'en revient toujours pas: «On s'est lancés il y a quatre ans sans être certains de la tournure des événements. Aujourd'hui, nous sommes débordés par la demande!» L'alpiniste québécois Jean-François Tardif a testé en juin dernier, sur l'Everest, une combinaison rembourrée de fibres d'asclépiade et affirme qu'il ne repartira plus en expédition sans elle. Du coup, la garde côtière canadienne a déjà réservé une partie de la production à venir pour la fourniture de vêtements grand froid, de doublures de parkas et de gants.
La nouvelle fibre naturelle intéresse aussi les industriels, car si elle repousse l'eau, elle est capable d'absorber quinze fois son volume en huile et en hydrocarbures, soit deux fois plus que les absorbants habituels à base de polypropylène issu du pétrole, utilisés lors des marées noires. En 2010, suite à l'explosion d'une plateforme pétrolière dans le golfe du Mexique, BP avait contacté la Western Illinois University pour tenter de se procurer de la soie d'asclépiade. En vain, puisque aucune production agricole n'existait alors. Cette année, ce sont les services incendie des municipalités du Québec qui veulent l'acheter pour éponger les déversements accidentels d'hydrocarbures. L'industrie automobile est un autre gros client potentiel: elle prévoit d'utiliser la plante comme isolant acoustique et thermique pour les garnitures auto. Dans l'asclépiade tout est utilisable, disaient les Amérindiens.
Demain, la plante aura des débouchés dans l'industrie automobile, la cosmétique et la pharmacie
François Simard voit aussi dans la fibre une multitude de débouchés. «Nous exploitons uniquement la soie, mais demain la plante sera valorisée à 100%. Voyez ses racines qui plongent jusqu'à 3 mètres dans la terre. Elles pourraient stabiliser les sols et capter les métaux lourds. Dans un avenir proche, elles décontamineront les sols mais aussi les océans! Quant aux graines, elles donnent une huile dont la teneur en oméga 3 est la plus forte de tous les organismes vivants. Nous pensons commencer la production l'an prochain. Ça intéresse beaucoup l'industrie cosmétique, mais aussi l'industrie pharmaceutique pour le traitement des grands brûlés.»
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L'ingénieur, qui a créé la société Fibre Monark, a l'intention d'ouvrir ce qu'il appelle «une nouvelle route de la soie». Elle sillonnerait l'Amérique du Nord depuis le Québec jusqu'aux montagnes du Michoacan, au Mexique, destination finale de la migration du papillon monarque. «Lorsque nous serons prêts, dit-il, la route de la soie passera par-dessus les océans, car nous comptons bien exporter cette plante extraordinaire et notre savoir-faire. Et pourquoi pas un jour relancer en France le projet du sieur Jacques La Rouvière.» Pour le Québécois, l'aventure ne fait que commencer.
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