Saint-Paul-d'Espis. Ces centres fermés où les ados se reconstruisent
Il existe quatre centres éducatifs fermés au sein l'interégion sud de la protection judiciaire de la jeunesse, dont celui de Saint-Paul d'Espis, dans le Tarn-et-Garonne.
William n'en mène pas large. Ce gamin de 14 ans craint de quitter le centre éducatif fermé de Saint-Paul d'Espis où il a été placé depuis peu, dans le Tarn-et-Garonne. Il a récemment profité d'une sortie pour tenter de dérober la voiture du centre. Interpellé après un accident, il sera présenté devant le juge des enfants, à Toulouse.
Loin de tout, perdu en pleine verdure au nord du Tarn-et-Garonne, le centre de Borde-Basse, géré par la Sauvegarde de l'enfance de Tarn-et-Garonne et sous contrôle de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), a reçu depuis son ouverture, il y a tout juste cinq ans, une centaine d'adolescents. Pas de prisonnier ici, ni même de pensionnaires. Seulement des « usagers » pris en charge par les éducateurs. Et ils sont dix à vivre en permanence dans les chambres spartiates de cette ancienne ferme rénovée au minimum. Des gamins de 13 à 16 ans, risquant jusqu'à sept ans de prison, à qui les magistrats donnent une dernière chance, pour des périodes allant de six mois à un an.
Des criminels, des jeunes très violents, des délinquants souvent chevronnés qui, en cas de dérapage, termineront derrière les barreaux d'une prison.
« Ce n'est pas normal d'être ici, on ne banalise pas le placement », note un responsable. L'arrivée au centre, parfois entre deux gendarmes, n'est pas le plus compliqué à gérer. « Ça s'allume un peu, on se mesure », confie un « usager ». Le départ du centre fermé reste plus difficile à gérer pour les éducateurs comme pour les jeunes. « Les quinze derniers jours, ils angoissent. Ici, ils prennent des repères qu'ils vont devoir reconstruire une fois dehors avec un éducateur de la PJJ », explique le directeur du centre, Jean-Michel Authé.
Une sortie réussie est celle qui se passe sans récidive. Sur un an, c'est le cas de 60 à 65 % des jeunes. « Des résultats probants », selon Pascal Dignac, directeur adjoint du centre.
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— tori ᵕ̈ Fri Apr 30 15:55:15 +0000 2021
Au sein de la Sauvegarde de l'enfance du Tarn-et-Garonne, on insiste : « Notre but est de proposer un avenir à ces gamins. Leur passage ne doit être qu'une étape de leur parcours. »
Le chiffre : 500
euros > C'est le prix d'une journée par « usager » du centre. Entre le gîte, le couvert, l'habillement, une surveillance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il faut compter entre 500 et 600 € par jour pour héberger un adolescent en centre éducatif. L'établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur revient à 1 000 € par jour.
« La délinquance, c'est un symptôme. On n'est pas délinquant pour toujours, ou alors c'est rare. Chez les mineurs c'est un moment de la vie. » Un responsable de la PJJ
Ils veulent être élagueur ou militaire
Le premier est plutôt du genre spécialiste des câbles de cuivre volés. L'autre a été arrêté, dans un foyer, avec des bouteilles d'alcool volé et un petit stock de haschich. Un troisième a conduit, une fois encore, sans permis à tout juste 14 ans. Le tout s'ajoutant à un casier déjà chargé pour leur âge. « Beaucoup ont été maltraités, suivis psychologiquement ou même psychiatriquement », explique le directeur adjoint du centre. Nous ne sommes pas dans « Les Rougon-Macquart », tous ont eu une existence baignée de violence mais cela n'est pas une fatalité inexorable. Sur la table en bois, depuis laquelle on domine les 16 hectares du centre, certains rêvent à une nouvelle vie. « Moi, je serais légionnaire. Mon père est militaire. Quand je sors, j'arrête les conneries… c'est sûr », explique un « usager » pas vraiment épais. Un projet qui fait bien rire deux ados aux épaules bien plus large. L'un d'eux veut être élagueur. « C'est bien ça, on est dehors », lâche-t-il. Un autre, à tout juste 16 ans, va être papa dans quelques mois. Avec sa compagne, ils ont déjà choisi le prénom de leur enfant. Quand il naîtra, il sera au centre. Il assure : « Après, une maison, un boulot et tranquille. » Une éducatrice de la protection judiciaire de la jeunesse l'assure : « Ils ont des rêves d'une banalité déconcertante. »
Témoignage : Jean-Michel Authé, directeur du centre éducatif fermé de Saint-paul d'Espis.
« Ici, on parle d'abordde la loi »
Jean-Michel Authé, directeur du centre éducatif fermé de Borde-basse, à Saint-Paul d'Espis dans le Tarn-et-Garonne, l'assure : « Pour faire ce métier, il faut être militant. » Respecté dans les couloirs du centre, ferme et rigoureux, ne tolérant que peu ou pas d'entorse au règlement, il est clair sur la démarche d'un CEF. « Ici, on parle d'abord loi, ordre et règle. Sans quoi, ils replongent », assure-t-il. L'équipe éducative reprend à la base les « usagers ». « Sans fondation, une maison ne peut pas tenir », estiment-ils. Ainsi, les vêtements de marque sont retirés dès l'entrée des ados au centre. « On choisit un magasin pour acheter des vêtements fonctionnels qu'on paye. C'est celui qui paye qui décide », insiste le directeur. Les « usagers » n'ont pas le droit de porter une capuche à l'intérieur. Ils peuvent faire du sport torse nu, mais quand ils se promènent dans le centre, c'est habillé. Partout sur les portes donnant accès aux salles des petites affiches préviennent : « Je frappe et j'attends qu'on me dise d'entrer. » Les « mercis » et « s'il vous plaît » sont de rigueur et réclamés par les éducateurs tout comme un lever à 8 heures et une tenue correcte à table. « On fait petit à petit, dans la dentelle », admet le directeur adjoint, Pascal Dignac. Tous les adolescents sans exception savent que le moindre dérapage sera sanctionné.
« Il existe d'autres relations que la violence »
À Borde-Basse, l'inactivité n'a pas le droit de cité. Au programme des journées : vie sociale et professionnelle, cours classiques mais individualisés, activités physiques, stages. « On propose beaucoup de découvertes de métiers. On ne peut pas définir qui sera plombier ou cuisinier. Mais, on tente de lui faire toucher du doigt le respect du patron, d'un horaire, le savoir être. Tant mieux s'il découvre un métier qu'il aime », expliquent les responsables de la Sauvegarde de l'enfance. Dans la cuisine, par exemple, c'est le premier jour de travail pour Youri. Avec le chef des fourneaux du CEF, il doit préparer les repas pour tous les usagers et les éducateurs. Une cuisine familiale et copieuse mais, ce n'est pas vraiment la tasse de thé de cet ado placé à la suite de trop nombreux vols. « Ici, il faut avoir toujours les mains propres, faire attention tout le temps… Et puis on est enfermé. Moi, mon truc, c'est être dehors, au grand air, au frais », explique l'adolescent. Quand il apprend que, l'après-midi, il va aller en forêt chercher des airelles, il esquisse un sourire. Dans une aile de l'immense bâtiment, c'est l'heure de VSP, vie sociale et professionnelle, pour Djamel. La petite salle de cours est bouclée de l'intérieur. « Ils peuvent très bien se lever d'un coup et partir. Les autres n'hésitent pas à venir. Si on ne boucle pas tout, on ne s'en sort pas », explique le directeur de l'établissement en exhibant un trousseau de clefs qui tintent. « On ne fait que ça toute la journée : ouvrir, fermer, ouvrir, fermer… Pour la sécurité », lâche-t-il. Dans une autre salle, Tony doit rénover une chambre dans les étages sous la surveillance du patron de l'atelier. Qu'il sache scier, poncer ou gratter importe peu. « On leur fait voir qu'il existe d'autres relations avec les adultes », explique le directeur adjoint du centre éducatif.