Le coup de jeune du «made in France»

24/03/2022 Par acomputer 720 Vues

Le coup de jeune du «made in France»

«Si vous voulez changer le monde, commencez par changer de slip!» En 2011, le slogan de Guillaume Gibault, pour le lancement de sa marque Le Slip Français, a fait sourire. Huit ans plus tard, son entreprise n’a plus rien d’une boutade. Elle fait appel à 27 ateliers de l’Hexagone pour le tricotage et la confection des modèles, et à 19 autres pour la réalisation des élastiques, des étiquettes ou des emballages. Soit l’équivalent de 200 personnes à temps plein, auxquelles s’ajoutent 110 salariés du siège et des 16 boutiques du label. La société, qui ne se cantonne plus à des sous-vêtements pour homme, a réalisé, l’an passé, un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros avec des collections bleu-blanc-rouge.

«Mon intérêt pour le “made in France” est réellement né sur le terrain, confie le trentenaire. À la sortie de HEC, un premier job chez Bio c’ Bon m’avait mis la puce à l’oreille sur cette consommation plus responsable qui allait bientôt dépasser le champ de l’alimentation et devenir une tendance de fond. J’ai eu l’idée d’une marque de slips pour homme car c’est un produit petit, simple et facile à expédier, qui s’achète sans essayer la plupart du temps. Et c’est seulement après avoir rencontré des façonniers spécialisés dans la bonneterie que le concept du slip fabriqué en France est devenu évident.»

Ambassadeur jovial de sa marque, Guillaume Gibault l’est aussi d’une nouvelle génération d’entrepreneurs qui donnent un formidable coup de jeune au tissu industriel français avec des projets divers et variés, réalisés à 100 % sur le territoire. Le 24 avril dernier - date anniversaire de l’effondrement du Rana Plaza à Dacca (Bangladesh), qui, en 2013, a causé la mort de 1127 personnes œuvrant pour la fast fashion dans des conditions de travail déplorables -, M. Gibault était la guest star d’une table ronde #WhoMadeMyClothes à Paris, organisée par le collectif Fashion Revolution qui a vu le jour à l’issue de ce drame. À ses côtés, la créatrice Sakina M’sa développant des collections avec une dimension sociale, Clément Maulavé du jeune label Hopaal créant des modèles au gré des stocks de matières dénichés chez des façonniers français, ou encore Thomas Huriez, fondateur de la marque 1083 comme la distance en kilomètres des deux municipalités les plus éloignées de l’Hexagone, où il produit ses collections, du tissage à la confection, depuis son lancement en 2013.

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Le coup de jeune du «made in France»

La plupart de ces jeunes gens responsables étaient sensibles à la mode sans avoir prévu d’y faire carrière. Les mots «prise de conscience», «planète» «surconsommation», «pollution», «urgence», «emploi», «proximité», «fibre sociale», «circuit cours» et «quête de sens» justifient leur changement de trajectoire vers le textile-habillement. «J’ai été victime de cette crise existentielle qui touche de plus en plus de personnes relativement jeunes, raconte Aurélie Varin, la fondatrice de la griffe de chaussons Edith & Marcel. Le sceau de la France a été amplement valorisé à l’étranger par des grandes maisons. J’ai imaginé un projet à plus petite échelle, débutant avec un produit un peu désuet qui s’appuie sur des savoir-faire appelés à disparaître si l’on ne fait rien.»

Informaticien, Thomas Huriez n’était pas plus proche du secteur au début des années 2010. Ou, alors, il connaissait ses tristes titres dans les journaux économiques, lui dont la famille est originaire de Romans-sur-Isère (Drôme), naguère grand bassin industriel de la chaussure. 1083, sa marque de baskets et de jeans, a réalisé, en 2018, un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros. La clef de ce succès? Un œil neuf, doublé d’un diagnostic pour ainsi dire clinique des raisons qui ont conduit à la décrépitude du secteur textile-habillement en France - passé de 250.000 employés en 1998, à un peu plus de 73 000 en 2016, selon l’Insee - et d’une énergie à déplacer des montagnes pour stopper cette hémorragie tant artisanale qu’industrielle. «À la fin des Trente Glorieuses, pointe-t-il, de nombreuses entreprises familiales de production ont été cédées à des groupes financiers à l’approche plus rigoureuse. Ces derniers ont commencé par sous-traiter auprès d’un voisin, car la gestion humaine de la fabrication s’avérait trop compliquée. Puis à produire au-delà des frontières car c’était moins cher et, petit à petit, de plus en plus loin. La filière de production s’est ainsi alourdie d’intermédiaires appliquant, chacun, leur coefficient. Ainsi, le prix de revient d’un jeans fabriqué à l’autre bout du monde se trouve parfois multiplier par dix quand il arrive en boutique. Ce qui laisse une marge pour fabriquer en France, dès lors qu’on imagine une structure légère traitant en direct avec les producteurs et les consommateurs.»

À l’instar du Slip Français, d’Atelier Tuffery spécialisé dans le denim ou de Bleu de Chauffe dans la maroquinerie, la marque 1083 a su tirer profit de l’outil Internet pour se faire connaître, dévoiler une démarche de proximité en toute transparence et, au final, vendre ses produits à des prix compétitifs. Un «Passez voir nos ateliers à Florac sur la route des vacances» accompagne la livraison des jeans d’Atelier Tuffery. Tout sac Bleu de Chauffe comporte une étiquette sur laquelle la personne l’ayant réalisé de A à Z a écrit son prénom. Pionnière, cette PME, fondée en 2009, produit désormais quelque 16 000 pièces à l’année, dans ses ateliers de Saint-Georges-de-Luzençon (Aveyron), face au viaduc de Millau, sur le plateau du Larzac.

Début 2008, ces derniers ont même décroché le label Entreprise du patrimoine vivant du ministère de l’Économie et des Finances qui renforce le slogan «savoir-faire de proximité» du maroquinier 2.0. «Ayant précédemment travaillé pour différentes marques en tant que designers, nous avions tous les contacts pour créer une histoire et réaliser nos modèles en Chine, se souvient Alexandre Rousseau, cofondateur de Bleu de Chauffe avec Thierry Batteux. Mais, ces modes de fabrication dans des conditions déplorables sur les plans humain et environnemental, ainsi que ce système où le produit fait trois fois le tour de la terre - entre l’élevage de l’animal, le tannage du cuir, le tissage de la doublure et la fabrication des autres composants - et, enfin, l’assemblage, nous n’en voulions plus. Lorsque j’imagine un modèle, je pense toujours à sa fabrication, j’anticipe la pénibilité du montage, je sonde la nécessité de la moindre couture car nous sommes à dix minutes près pour que le sac sorte en dessous de 300 euros. Le temps de travail constitue la moitié du prix de revient du “made in France”, contrairement à du “made in China”où c’est une portion congrue.»

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Aux difficultés économiques et humaines - recruter, former… - s’ajoutent souvent des problématiques industrielles pour tenir l’équation du «made in France». Alexandre Rousseau cite l’exemple des rivets en laiton, dont les derniers spécialistes français ont mis la clef sous la porte. Thomas Huriez, lui, a été confronté, l’an dernier, au redressement judiciaire de Valrupt Industries, un tisseur vosgien qui l’avait soutenu dès le départ. Échange de bons procédés, sa jeune entreprise avait (déjà) les reins suffisamment solides pour reprendre l’activité dans son giron. «Nous avons conservé 28 personnes sur les 50 employés. Depuis, l’effectif est remonté à 40, et je ne désespère pas», confie ce passionné qui a créé, depuis 2013, 65 emplois directs et 150 indirects avec sa marque 1083. «Vais-je réussir ou pas? Ce n’est pas le sujet! ajoute-t-il lorsqu’on le questionne sur les limites de sa démarche. Je considère que je dois faire ma part pour changer le monde et, jusqu’à présent, tous mes efforts ont été validés. On consomme déjà de façon plus éclairée qu’il y a cinq ou dix ans. Tout changement profond demande du temps. Je suis convaincu que nous ne sommes qu’au début d’une prise de conscience au sujet de l’habillement.»

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