Les conseils de la créatrice Valérie Berckmans pour une marque plus éthique

24/04/2022 Par acomputer 783 Vues

Les conseils de la créatrice Valérie Berckmans pour une marque plus éthique

En 2006, vous vous installiez dans le quartier Dansaert. Cet atelier-boutique, c’était un sacré pari, non ?

Si on remet les choses dans le contexte de l’époque, pas tant que ça. En 2006, certains consommateurs commençaient à se lasser de la fast fashion et recherchaient des alternatives plus durables. Surtout dans ce quartier qui, dans les années 2000, était à son apogée. Dansaert incarnait la mode belge d’avant-garde, mais il rassemblait aussi quelques boutiques de créateurs comme Shampoo & Conditioner (le premier projet de la créatrice Aude de Wolf, NDLR.) ou Conni Kaminski. Et puis, ce quartier m’a rapidement permis de toucher une clientèle très mixte, à la fois des habitants du coin, francophones et néerlandophones, des Wallons et des touristes de passage dans le cœur historique.

Comment êtes-vous tombée dans la mode ?

J’ai d’abord fait des études universitaires. Un début de parcours classique. Puis, je me suis formée au métier de designer textile à Saint-Luc. Déjà à l’école, les professeurs me reprochaient la simplicité de mes dessins. De mon côté, je voyais déjà tellement de beauté dans une manche bien dessinée que je refusais d’en faire plus. Mes premiers pas dans la création datent de 2003, mais tout a vraiment commencé en 2006 avec la boutique. Tant qu’à louer un atelier, je me suis dit qu’il était plus logique de le coupler à un magasin qui me permettrait d’être en contact direct avec mes clientes. Pour moi, la notion de circuit court commence par là. Je n’ai jamais eu l’ambition de grandir démesurément ou de tendre vers une structure qui ne cadrerait pas avec mes valeurs.

Valérie Berckmans dans sa boutique, avec son proche collaborateur Théo Auquière.

Vous dites que vous êtes arrivée au bon moment. Pourquoi ?

Il y avait à nouveau de la place pour des vêtements bien construits, un style plus identitaire et un monde de consommation qui se démarquait de la frénésie d’achat habituellement liée aux grandes chaînes internationales. J’aime les choses exclusives et les pièces en petites séries. Rien ne me donne plus de plaisir que de chiner des boutons anciens pour ennoblir une chemise.

Ce matin, vous nous avez rejoints à vélo. Vous portez une paire de bottes vintage et vous fuyez les supermarchés. Peut-on dire que votre marque vous ressemble ?

Je pense en effet qu’en tant que créateur, mais aussi en tant que consommateur, on a un incroyable pouvoir social, politique, urbanistique... Si vous applaudissez les initiatives locales, mais que vous continuez à faire vos courses dans les supermarchés ou à vous habiller dans les enseignes de fast fashion, les centres-villes vont se vider et les petits magasins vont peu à peu disparaître. Parfois, on a l’impression qu’à titre individuel, on ne peut pas changer les choses. Ce serait oublier un peu trop vite que les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Même si, d’emblée, vous avez séduit un public conscientisé à l’importance de s’habiller autrement, on imagine qu’en quinze ans, le secteur de la mode durable a changé...

Les conseils de la créatrice Valérie Berckmans pour une marque plus éthique

En 2004, quand j’ai commencé à m’intéresser aux tissus bio, le choix de couleurs était limité et pas toujours très sexy. Aujourd’hui, nous travaillons avec trois fabricants, surtout allemands. Leur catalogue est désormais riche de centaines de références. Ils réalisent pour nous des tissus rayés sur mesure ou, comme pour cette collection hiver, un coton bio gaufré magnifique. Quand un vêtement est simple, chaque détail se voit. Nous n’en négligeons donc aucun.

Les créations de Valérie ? Des pièces simples, bien construites, produites en petites séries.

Cette simplicité n’est pas synonyme d’une absence de féminité, au contraire...

Je suis en effet davantage séduite par les robes joliment construites que par les ensembles jeans et baskets. Ce n’est pas parce qu’on vise l’éthique qu’on considère la mode comme une préoccupation vaine. J’accorde une importance particulière à la mise en valeur du corps féminin. Pas uniquement lorsqu’il est mince. Nous habillons les femmes de la taille 36 à un bon 42. Chaque saison, nous réinventons nos basiques. Tout m’inspire : une femme que je croise dans la rue, un tableau, une chute de tissu... Cet hiver, nous avons notamment réalisé des manteaux sur base d’une laine vintage chinée qui nous a particulièrement inspirés. J’aime la féminité liée aux années 30 et 40, mais je fais en sorte de rester connectée à notre époque. Ce qui m’intéresse dans la mode, c’est d’opérer un grand mix entre hier et aujourd’hui et de proposer mon interprétation personnelle de tout cela. Avec Théo Auquière, mon collaborateur, nous cherchons à créer un vestiaire complet, qui permet d’associer facilement les pièces entre elles, mais qui est aussi facile à entretenir et qui se passe de repassage.

Vos vêtements sont conçus au sous-sol de votre boutique, puis produits dans de petits ateliers, vos partenaires de longue date...

Pour moi, c’est une évidence, mais aussi un défi. Deux de ces ateliers se trouvent dans le quartier, dont un dans la rue. Le troisième est à La Louvière et le dernier en France. Je suis consciente du prix des vêtements produits en Belgique. Pour les pièces en jersey que nous réalisons en plus grandes séries, je peux proposer de meilleurs prix en les faisant produire en France.

Depuis une poignée d’années, vous êtes également concernée par le zéro déchet...

Quand vous commencez à vous soucier de ce que la production textile produit comme déchets, même dans le cadre d’un petit atelier comme le nôtre, vous vous engagez dans un challenge de taille, mais qui en vaut la peine. Si, demain, toute la production textile mondiale s’arrêtait, on pourrait encore habiller la planète entière pendant cent ans. J’ai commencé ce processus en créant une ligne de T-shirts, de robes et de sweaters pour enfants sur base de nos chutes de tissu.

Aujourd’hui, votre réflexion est-elle plus globale ?

Je pense que l’équilibre parfait consiste à acheter moins et mieux, à mixer pièces de seconde main, vêtements en tissu naturel ou de récupération. C’est une démarche que j’ai instaurée depuis longtemps avec mes enfants. Je les habille en friperies, mais de temps en temps, je leur offre un joli pull de qualité Aymara, une marque qui véhicule les mêmes valeurs que les miennes et que je distribue à la boutique. Dans ce même esprit, j’ai aussi consacré un coin du magasin à un projet parallèle : Super Green Me, une sélection de produits éthiques pour le corps et la maison.

Cette sélection de produits est vendue en ligne, tout comme les vêtements de votre label. Pour vous, ce choix du digital n’allait pas de soi.

Pour apprécier nos vêtements, il faut de préférence les voir et les toucher, mais pendant le confinement, nous avons tout de même décidé de vendre en ligne. Au-delà de l’aspect purement commercial de cette démarche, le web est une excellente vitrine. Aujourd’hui, certains clients font une présélection sur le site avant de passer au magasin. C’est aussi un bon moyen de documenter les vêtements et d’expliquer notre démarche à nos clients. Quant aux réseaux sociaux, j’y suis un peu allée à reculons. J’évite les collaborations avec les influenceurs qui ne cadrent pas avec l’esprit de la marque. Je pense, un peu naïvement, que si les gens ont vraiment envie de nous trouver, ils n’ont pas besoin des réseaux. D’un autre côté, ces réseaux me permettent de véhiculer un message militant et de poser des gestes politiques, en phase avec mon projet.

Vous êtes connue pour vos robes, mais vous développez aussi plusieurs modèles de pantalons.

Nous avons créé cinq ou six coupes, histoire d’habiller des femmes aux morphologies très différentes, dont un modèle large créé en 2002, il y a presque vingt ans. Le patron est donc totalement rentabilisé. Quand on vise le durable, cet aspect est également primordial.

Si le durable a la cote, il en va de même de la Belgique. Avez- vous l’impression de faire partie d’une certaine école belge ?

J’aime beaucoup la diversité culturelle de notre pays ; une diversité qui trouve un écho dans la mode. Chaque créateur développe son propre style sans forcément passer par des guerres d’ego. L’humour et le décalage dont la plupart font preuve me font espérer que d’autres projets vont fleurir à Bruxelles dans les mois ou les années à venir.

Et de votre côté, qu’est-ce qui vous anime ?

J’espère pouvoir toucher un public plus large. Pas par volonté de grandir, mais pour pouvoir financer ma recherche sur le zéro déchet et épargner davantage de ressources. Mon objectif est de développer des systématiques dans ce domaine, mais pour ça, il faut sortir de la logique de non-rentabilité dans laquelle le zéro déchet est encore enfermé. Toujours dans cette volonté de ne pas surproduire, je voudrais aussi cerner encore plus précisément les envies et les besoins des gens.

valerieberckmans.be

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