Goldorak, un retour tonitruant made in France !
La première page - Quarante-cinq ans après avoir conquis les ondes hertziennes du PAF, Goldorak, le robot le plus célèbre au monde, revient en BD. Sous la plume des talentueux Dorison, Bajram, Cossu, Sentenac et Guillo, le prince Actarus va devoir sauver la Terre d'un nouveau danger.
"La première page": découvrez le nouveau rendez-vous BD de L'Internaute, où des auteurs analysent la première planche de leur album.
Les cinq compagnons de la BD - Xavier Dorison au scénario, Denis Barjarm au scénario, storyboard et dessin, Brice Cossu au dessin, Alexis Sentenac au dessin et Yoann Guillo aux couleurs - auraient pu réaliser un remake de Bioman, ils étaient le bon nombre, mais leur passion commune était un robot géant roi des récréations fin 1970-début 1980, Goldorak ! Créé en 1975 par Gô Nagai, le robot piloté par le prince d'Euphor aura mis trois ans pour traverser le monde et débarquer en France en 1978 sur Récré A2.
Renommé Goldorak (en japonais il s'appelle UFO Robo Grendizer), le dessin animé pulvérise à coup de fulguropoings les records d'audimat et s'impose comme un phénomène tout d'abord générationnel - on parle de "génération Goldorak" - pour au final devenir une icône intemporelle de la pop culture. La première partie (25 épisodes) de la série animé est disponible en France sur la plateforme de streaming Anime Digital Network, l'occasion de se laisser bercer par la bande originale composée par feu Shunsuke Kikuchi.
C'est à Angoulême lors d'un repas d'affaires que le scénariste émérite Xavier Dorison exprime son amour pour la licence Goldorak à Christelle Hoolans (directrice générale des éditions Dargaud-Lombard). Conquise par la passion du conteur d'histoire, elle lui propose de monter un dossier qu'elle transmettra à Gô Nagai. C'est le début d'une aventure incroyable dont la conclusion est un album qui, au-delà de ses qualités inhérentes, est une véritable lettre d'amour au prince d'Euphor et à ses compagnons. Une BD qui va devenir sans nul doute une référence du genre à tous les niveaux : histoire, rythme narratif, personnage, couleurs, mise en scène, hommages, tout y est et tout est parfait.
Un travail de titans et d'équipe
"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage." La citation du poète classique Nicolas Boileau aurait pu être l'adage du quintet d'auteurs tant ils n'ont eu de cesse de peaufiner et revoir leur album tout au long de ces cinq dernières années. Au lancement du projet, les trois dessinateurs se répartissaient les assignations en fonction de leurs principales qualités, mais au fil du temps ils ont chacun travaillé sur tout. "On avait tous envie de toucher à ces personnages iconiques, de jouer un peu avec les robots et engins futuristes. Plutôt que de se cloisonner, on a préféré la liberté absolue. Ce qui donne non pas un gloubi-boulga mais au contraire une véritable harmonie à trois encres. C'est d'ailleurs ce partage qui fait que, pour une fois, j'aime regarder des pages de l'album terminé. Habituellement, j'ai soit le syndrome de l'artiste maudit jamais satisfait, soit peur de l'auto-satisfaction non justifiée. Travailler ensemble donne un véritable recul qui permet de juger notre travail sans idées préconçues, explique Alexis Sentenac.
Le dessinateur poursuit: "Le scénario part de Xavier, mais Denis a travaillé sur le synopsis et on a tous eu notre mot à dire à chaque étape. On était avec Brice à l'aéroport en attendant notre avion quand on a reçu la dernière version du scénario. Nous l'avons dévoré sur nos smartphones, nous nous sommes regardés et avons souri et acquiescé en même temps. De même, les couleurs sont l'apanage de Yoann, mais là aussi toutes les pages ont été collégialement validées."
Découvrez en exclusivité la première page de cet album, décryptée par Denis Bajram, Xavier Dorison, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Yoann Guillo.
Pour réaliser cette page, l'équipe est passée par trois versions en storyboard,puis deux versions encrées qui elles même ont données deux versions colorées. Le record est de sept versions du storyboard pour une même planche. Une exigence qui n'a cessé de guider le quintet d'artistes vers les sommets du 9e art. À l'instar du monde de l'animation, un travail de retouches lors de l'encrage est assez fréquent.
"Dès le départ du projet, nous avions avec Xavier décidé d'une problématique : Goldorak est absent depuis 40 ans. L'introduction doit mettre en avant cette absence, on ne pouvait pas commencer la BD en le montrant, explique Denis Bajram. On a pris la décision d'aborder cet album avec un peu plus de réalisme et de clairement situer l'histoire au Japon. Quand on regardait Goldorak enfants à la télévision, on n'avait pas du tout conscience que ça se passait au Japon. Pour nous, le Ranch du bouleau blanc situait l'histoire au Mexique. Tout le reste nous semblait être plus du carnaval, même le fundoshi (sous-vêtements pour homme traditionnel japonais) de Rigel ne sonnait pas japonais pour nous. Ce sont ces deux postulats qui ont guidé la conception de cette scène d'introduction. Enfin, commencer sur la Lune, c'est faire un parallèle avec la série : si la Lune est rouge, alors c'est un signe que les forces de Vega vont attaquer. La Lune est prépondérante dans l'univers de Goldorak."
Le parallèle avec la série va au-delà, expliquent les auteurs. À la fin du dessin animé, Goldorak est parti, les forces de Vega sont décimées, alors le quintet d'auteurs était désireux de montrer les vestiges de la base lunaire des extra-terrestres belliqueux. "Quand on grandit dans les années 70, la Lune est notre horizon, on est tous persuadé de vivre sur ce satellite un jour. Elle était au cœur de la majorité de nos fantasmes futuristes. C'est étrange à dire mais la Lune était plus proche de nous à l'époque qu'aujourd'hui", analyse Denis Bajram. "La connaissance de l'espace que l'on a aujourd'hui est beaucoup plus vaste qu'avant. On était sur des connaissances de surface, aujourd'hui l'exploration spatiale est tellement riche que l'on ne sait plus où donner de la tête : Hubble, Voyager, Curiosity, etc. J'adore cette scène car elle pose parfaitement les bases de qu'on a voulu faire avec cet album : revisiter des lieux et références iconiques de Goldorak mais aussi de la culture générale dans un contexte réaliste", renchérit Brice Cossu.
"On commence cette planche en ancrant dans le réel par une référence à Neil Armstrong avec l'empreinte de cosmonaute. Et très vite, dès la troisième case, on met le logo de la Jaxa (Japan Aerospace Exploration Agency), pour rendre à César ce qui est à César et remettre le Japon très clairement au centre des débats", explique Denis Bajram. "On crée le mystère grâce à des cases en gros plan qui soulèvent une question : quel est le problème de ces cosmonautes ?", ajoute Xavier Dorison. On commence et on termine cette page avec des liens forts envers la série originale : le laserium dans la troisième case ainsi que le camp de la lune noire en conclusion et en plan large."
"Les lignes de forces dirigent le lecteur sur le camp de la lune noire : les cosmonautes qui marchent, leur regard sur la 4e case, les éclairages, tout pointe sur les vestiges de la base de l'armée de Vega. Il y a des lignes de forces dans tout l'album, décrypte Denis Bajram. La BD c'est très compliquée en réalité. On colle côte à côte des images qui ont toute une force pour former une planche mais il ne faut pas que le résultat soit un foutoir illisible. Et ensuite il faut équilibrer aussi la couleur. On a traité l'équilibre de toutes nos planches sous l'œil des double pages. Cela nous a permis de jouer sur les symétries. C'est une vieille tradition du médium et à ce jeu Le Mystère de la Grande Pyramide de Jacobs reste pour moi une référence absolue."
"La base, au début de l'histoire, est presque un monument aux morts. Il y a un côté religieux dans cette scène. Le silence pesant de l'espace - aucune onomatopée - renforce cet aspect très majestueux. Pour tous les fans de Goldorak, les forces de Vega sont mortes. Les cosmonautes s'approchent d'un mausolée", ajoute Alexis Sentenac.
"La dernière case, à bords perdus, ouvre sur l'immensité de l'espace, elle est remplie de vide. On a passé énormément de temps sur la gestion des détails de cette case, sur la manière d'avoir un décor riche sans être trop chargé pour respecter ce vide de la Lune", analyse Denis Bajram.
"On a fait des dizaines d'essais rien que sur les cratères, à ajuster leurs positions, leur nombre, leurs tailles. L'avantage de travailler en numérique, c'est que l'on peut modifier ces éléments plus facilement qu'en analogique", ajoute Alexis Sentenac.
Pour trouver l'équilibre au niveau du trait, le trio de dessinateurs a mis une vingtaine de planches. "J'ai commencé la mise en couleur avec les pages du temples et la page où Goldorak est au fond du lac. Je n'ai attaqué cette première planche que plus tard, quand j'avais déjà une vision de la charte de l'album, explique Yoann Guillo. Et heureusement car commencer sur une page aussi difficile aurait été une angoisse sans nom. Il faut trouver comment mettre de la profondeur, des teintes, des textures, enrichir les paysages en étant en noir et blanc car sur la Lune. J'ai mis des couleurs où je pouvais: l'écusson en rouge, l'écran en bleu et un jaune-ocre sur les visières des casques. Pour le reste on triche avec la physique en jouant avec la densité d'oxygène pour enrichir le gris avec des teintes de bleu ou de jaune. Comme le dessin, la couleur tout au long de l'album a été pensée en double page. Quand j'attaque la colorisation, je choisis quelles cases mettre en valeur, soit au niveau de la narration, soit d'un point de vue purement graphique et lesquelles doivent être un peu en retrait pour que l'ensemble soit équilibré et harmonieux."
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"Il y a sur cette page énormément de gris différents. Si Yoann avait fait cette planche juste en noir et en blanc, elle aurait été morne et ennuyeuse. Yoann a mis un arc-en-ciel de gris sur cette page", renchérit Denis Bajram. "Il y a 50 nuances de gris", conclut en riant Alexis Sentenac.
"On apporte une vraie attention aux couleurs dans différentes conditions. Nous avons des écrans professionnels calibrés à la perfection, mais nos lecteurs eux ne liront pas l'album dans ces conditions", continue Denis Bajram.
"L'endroit de lecture de test de Denis, ce sont les toilettes. Chez l'imprimeur, il prenait les planches, allait au petit coin pour vérifier le rendu dans ces conditions", ajoute Yoann Guillo. "Un lecteur doit pouvoir apprécier sa BD dans toutes les conditions, y compris avec un éclairage de dos de 30W. Sur la table de l'imprimeur c'est toujours beau, mais il faut faire attention", justifie Denis Bajram.
Des lois physiques à géométrie variables
"Quand j'ai commencé à dessiner les décors pour cette planche, je me suis dit que quelque chose clochait. N'arrivant pas à mettre le doigt dessus, j'ai repris ma documentation en cherchant en ligne des visuels de vues prises sur la Lune et là ça m'a frappé : le ciel y est toujours noir on ne voit aucun étoile à cause de la luminosité du soleil. Les enlever a ajouté la touche de sobriété nécessaire pour cette planche tout en respectant les lois universelles de la physique", raconte Alexis Sentenac.
"On s'est autorisé une licence artistique avec les lois physiques en ajoutant des étoiles sur les pages suivantes selon les besoins d'évocation narratifs mais on les a respectées au maximum. Sur la quatrième case, les lumières vues de face ne sont pas censées avoir d'effet de diffusion, ces halos que l'on voit sur les photos historiques sont liés à l'usage des pellicules argentiques qui ont été cramées par la luminosité. On fait plier la physique pour les besoins de l'ambiance et de l'histoire", explique Denis Bajram.
"Denis est un véritable passionné de l'espace, il nous a partagé sa science avec une direction artistique et technique hyper détaillée", ajoute Yoann Guillo. "Et ce niveau de détail et d'exigence, nous l'avons conservé tout au long de l'album. Il n'y a pas beaucoup de dessinateurs qui se demanderaient la largeur d'un guide de tronçonneuse, heureusement Yoann est passionné par ces engins", raconte en rigolant Brice Cossu.
Une BD avec des chapitres
"Utiliser des chapitres est une idée arrivée par accident, explique Denis Bajram. Lors de la relecture d'une séquence, on s'est aperçu qu'il fallait ajouter une page, mais ça décalait tout l'album comme on travaille par double page. On a alors eu l'idée de créer des chapitres pour pouvoir rattraper cet équilibre. On a parfois inversé des pages ou ajouté trois pages sur une autre séquence. C'est un véritable travail d'orfèvre, on n'a jamais accepté de fermer une scène si on n'en était pas tous satisfaits. Si on n'avait pas été aussi nombreux, on n'aurait pas pu tenir ce niveau d'exigence, on se serait effondré. Aussi, le fait que les titres de chapitres soient des exergues de phrases prononcées par des personnages confère un côté très solennel à l'album."
" Ce chapitrage renvoie aussi aux mangas et aux épisodes animés, que l'on consomme en série", ajoute Alexis Sentenac. Pour Yoann, "ce système est un élément de ponctuation du récit. Il peut marquer facilement un changement de lieu, de temps, d'atmosphère. Et cela permet au lecteur de prendre une pause dans sa lecture si besoin."
"Mais pour l'instant, tous nos lecteurs tests ont dévoré l'album d'une traite", conclut avec le sourire Denis Bajarm.
Une précommande record
La version collector de la bande dessinée a été épuisée en moins de 24h sur Amazon alors même que le contenu n'était pas encore défini. Une preuve d'appétence pour la licence mais surtout de confiance envers le quintet d'artistes. Un succès qui a surpris les auteurs eux même : "Les précommandes ont été lancées avant même que les visuels du coffret ne soient terminés. On n'avait aucune idée des bonus, ni des suppléments, et on a quand même vendu 10.000 exemplaires en un rien de temps. Ça a été un électrochoc. J'en ai tout de suite parlé à ma femme Annabelle et on a convenu qu'il se passait un truc. Cependant, tant que je n'ai pas l'album dans les mains, je crois que je ne réalise pas ce qu'il se passe", explique Alexis Sentenac.
"C'est la PS5 du monde de la BD, on était numéro un des ventes Amazon tous livres confondus, c'est fou. D'autant plus qu'on a montré très peu de contenu", explique Brice Cossu.
"Ça m'a fait très peur, avoir autant d'attente. J'ai eu peur de décevoir les lecteurs. Comme on était sur la finalisation de l'album, on n'a pas eu le temps de trop gamberger. Mais une fois que j'ai envoyé les fichiers finaux pour l'impression, j'ai mal dormi pendant deux semaines à cause du stress. Mais je dors mieux avec les premiers retours presse qui sont tous élogieux. La création n'est pas une science exacte et la réussite ne dépend pas uniquement de l'amour que l'on porte à une œuvre", ajoute Denis Bajram.
"C'est un équilibre difficile à trouver que de teaser suffisamment sans trop en montrer. Je trouve qu'aujourd'hui on montre tout trop vite. On oublie l'intérêt de l'attente, de ce plaisir à anticiper une bonne chose. C'était compliqué de se retenir de trop partager car on voulait que les fans de Goldorak se sentent concernés. On nous a prêté avec cette licence des jouets de luxe, mais ces derniers appartiennent à plus de 4 millions de fans français", conclut Alexis Sentenac.
Et l'aventure continue ?
"Depuis le départ de ce projet fou, on a ce fantasme d'en faire une version manga, en noir et blanc, qu'on lirait de droite à gauche et avec les noms originaux des personnages", confie Denis Bajram. "Cet album est destiné au grand public, on aurait perdu des gens si on avait fait une lecture de droite à gauche. En faisant Goldorak en BD, on va toucher un lectorat au-delà du lectorat classique de la bande dessinée franco-belge mais ces derniers resteront la majorité de nos lecteurs", ajoute Brice Cossu. "Et puis, ce n'est pas parce que l'on a connu le dessin animé Goldorak que l'on est un lecteur de mangas !", ajoute Yoann Guillo.
Une chose est sûre, après la lecture de cet album, l'auteur de ces lignes en est convaincu : c'est avec les vieux robots qu'on fait les meilleures BD !