Voyage dans l’enfer du crack
Main tendue, des silhouettes somnambuliques slaloment entre les voitures. Porte de la Chapelle (dans le 18e arrondissement de Paris), au cœur de l’après-midi, Marta (tous les noms des toxicomanes et des trafiquants ont été modifiés) a récolté assez d’argent, en deux heures de manche, pour acheter une « galette » de crack. Soit 15 euros pour quatre « cailloux », correspondant chacun à deux ou trois inhalations dans une pipe. Originaire du Portugal, cette ancienne coiffeuse de 32 ans — qui en a passé dix dans la rue — a les dents gâtées et un cocard sous l’œil gauche. « Je n’ai pas dormi depuis trois jours », lâche-t-elle en filant vers le boulevard Ney. Les yeux rivés sur le trottoir, elle hoche sans cesse la tête, fébrilement, une attitude que les addictologues appellent le « syndrome de la poule ». C’est habituel chez les « crackeurs » : victimes d’hallucinations, ils voient fleurir des galettes au sol.
Marta rejoint la « Colline », un terrain en pente situé entre le boulevard périphérique et la bretelle d’accès à l’autoroute du Nord. Quelques tentes de fortune, des fauteuils éventrés, un fil pour étendre le linge. Une trentaine de crackeurs vivent ici de façon permanente. Une centaine y passent quotidiennement pour acheter et fumer des galettes. Une odeur d’urine et de goudron chaud flotte sur l’herbe jonchée d’ordures. « C’est le seul endroit où tu trouves du caillou vingt-quatre heures sur vingt-quatre », explique Marta.
A peine s’avance-t-elle vers le squat que quatre « modous » — dealeurs de crack originaires d’Afrique de l’Ouest — la repèrent. Marta livre sa « ferraille », 15 euros en petites pièces. En échange, un modou lui donne un carré jaunâtre ressemblant à un morceau de parmesan : du crack, un dérivé fumable de la cocaïne, dont l’effet est à la fois plus rapide et plus puissant. La poudre est mélangée à une solution basique qui permet au principe actif de survivre au point de combustion.
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— Jamie Griffin Thu May 02 22:39:14 +0000 2013
Après avoir récupéré un « doseur » — terme hérité de l’époque où les pipes étaient fabriquées avec des doseurs à pastis —, Marta s’accroupit près d’un amas de détritus infesté de rats. Elle passe la flamme de son briquet sur le caillou pour le souder au filtre, puis l’embrase tout entier en tirant d’amples bouffées. Ses paupières frémissent sous la charge du produit, qui libère un flot confus de paroles. « Moi, je ne dors pas ici, c’est trop dingue, confie-t-elle. Il n’y a pas longtemps, un pote s’est fait couper une phalange pendant qu’il dormait, comme ça, sans raison… Je squatte à droite à gauche, en attendant de revoir mes deux filles, 9 et 11 ans… Elles sont placées à Lille. »
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