Danse Rouler vers un été heureux

13/08/2022 Par acomputer 581 Vues

Danse Rouler vers un été heureux

Le patin à roulettes revient en force depuis un an. Et à l’été, les surfaces lisses seront plus que jamais prises d’assaut par des danseurs et danseuses sur roues qui n’ont envie que d’une chose : s’éclater ! On vous présente le phénomène et ses racines.

Publié le 2 mai 2021Ève Dumas La Presse

Devant la boutique Lowlife, la seule, pour l’instant, à vendre les fameux patins ultracolorés Impala, Moxi et Sure Grip qui font tourner toutes les têtes, la file s’allonge à mesure que les beaux jours arrivent.

Habituées à servir la communauté de roller derby, les propriétaires, Tracey Mattinson et Lorianne Dicaire, voient débarquer des hordes de patineuses TikTok, COVID et Instagram (comme on les appelle actuellement chez les plus expérimentés !) depuis exactement un an.

« On n’était pas du tout prêtes, au printemps dernier ! raconte Lorianne. Normalement, ç’aurait été le début de la saison de roller derby. On était pleinement stockées pour ça. Mais finalement, les gens sont venus acheter tous nos patins Moxi. C’était le début de la folie. Heureusement, on a réussi à en commander d’autres, puis des Impala. »

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En une année, la boutique Lowlife a vendu un millier de paires de patins récréatifs pour danseurs et danseuses, qu’elles réservent à l’achat en boutique. La pénurie est mondiale et les deux commerçantes souhaitent éviter que tout leur stock ne parte en Floride et en Californie. Elles préfèrent participer au développement de la communauté locale de patin à roulettes.

À 125 $ la paire d’Impala, on est loin de la facture habituelle de 400 à 700 $ pour des patins de roller derby, mais Tracey et Lorianne sont néanmoins fort heureuses d’avoir pu continuer à faire des ventes tandis que leur sport de prédilection est à l’arrêt. Elles tiennent également l’excellente marque Riedell, pour ceux et celles qui seront prêts à passer à un niveau plus avancé.

Pourquoi patiner ?

Caroline Hamel, qui a pratiqué le patinage artistique plus jeune, est passionnée depuis qu’elle a acheté ses Moxi en suède noir, ce printemps.

Quand j’enfile mes patins, ça me met dans un état d’esprit ludique. Avec l’esthétique, les couleurs et la musique, je me sens transportée dans une époque remplie d’insouciance et je souris.

Caroline Hamel

Le patin peut être une fête, une thérapie, un partage. « C’est quelque chose de très personnel, mais en même temps, c’est très communautaire, avance Philippe Vanhalewyn, qui roule depuis 20 ans. En patins, tu n’es jamais fatigué. Une nouvelle toune embarque et c’est reparti. Et oui, il y a peut-être les COVID skaters et les vintage skaters, mais en réalité, personne ne va se faire rejeter. On forme une communauté. »

Patin et réseaux sociaux

Phillipe Vanhalewyn (alias Deluxe Rollerdaddy) donne des cours de roller dance à des petits groupes (limités à sept élèves masqués, pour l’instant). Les séances, accompagnées de musique particulièrement entraînante, attirent systématiquement les curieux et curieuses, qui veulent savoir où acheter des patins, comment avoir accès à des cours, connaître l’adresse du groupe Facebook Roller Dance Montreal, etc.

Celui qui a fait ses premières steppettes à roulettes il y a deux décennies ne niera pas qu’il est parfois agacé de voir des « fashionistas » poser en patins sur Instagram.

« Constater que des TikTokeuses qui savent à peine patiner se font commanditer à fond, c’est un peu insultant, surtout quand on sait qu’il n’y a pratiquement aucun vrai patineur de rink sponsorisé. Là, les grosses marques comme Nike flairent la tendance. L’association de patinage artistique américaine est en train d’attirer les patineuses de style pour récupérer leurs moves. Ce genre de culture « vultures « m’irrite un peu. »

Cela dit, Philippe souhaite tout de même profiter de l’engouement actuel pour faire entrer le plus de patineurs possible dans sa danse. « Les gens arrivent au parc avec leurs patins et ne savent pas vraiment quoi faire. C’est pour ça que j’ai commencé l’école, pour que les gens apprennent et qu’on puisse ensuite faire des soirées où il y aura de plus en plus de monde qui sait danser et suivre le rythme de la musique. »

Danse Rouler vers un été heureux

Et pourquoi pas un espace intérieur sûr et destiné à la pratique du patin à roulettes récréatif et dansé ? Si de plus en plus de gens s’y mettent, peut-être sera-t-il possible de patiner à l’année et ailleurs que dans les stationnements sous-terrain ? La petite communauté montréalaise en rêve. En attendant, elle peut se rabattre sur les soirées de Roller Disco Montréal, qui reprendront à Mont-Royal dès que ce sera possible.

> Consultez le site de Roller Disco Montréal (en anglais)

Une culture mise à mal

Malheureusement, depuis l’ère du disco, la tendance est plutôt à la fermeture des patinoires. Même aux États-Unis, les rinks, bastion de tout un pan de la culture afro-américaine, s’éteignent les unes après les autres. C’est ce que montre le documentaire United Skates, diffusé sur Crave.

Car avant d’être un bon prétexte pour « flasher » dans les réseaux sociaux, le roller dance et le roller disco ont toujours eu un aspect communautaire, culturel et même politique.

Historiquement, les patinoires ont également été le théâtre des revendications des droits des Afro-Américains. Dans les années 1940 et 1950, ces espaces de loisir, comme tant d’autres, étaient réservés aux Blancs.

« Plusieurs des premiers sit-ins en Amérique dénonçant les inégalités raciales étaient en fait des skate-ins », peut-on lire dans un article-fleuve intitulé Roller Skating, Civil Rights, and the Wheels Behind Dance Music.

> Consultez l’article (en anglais)

La désobéissance civile a permis l’organisation de soirées « noires » (encore appelées Adult Nights, pour atténuer l’aspect ségrégationniste) dans les patinoires appartenant presque toutes à des Blancs. La scène hip-hop s’est aussi développée dans ces rinks. Dr Dre a été le premier DJ de Skateland, à Los Angeles. Latifa et Ice Cube y ont aussi donné leurs premiers concerts.

Au fil des décennies, un grand nombre de styles se sont développés dans les grandes villes américaines. Chicago a le JB (influencé par le groove de James Brown). Les jammers de New York sont des disciples du légendaire Bill Butler, lui-même originaire de Detroit et toujours actif à 87 ans. San Francisco doit une fière chandelle à Richard Humphrey. À Los Angeles, tout est dans le jeu de pieds et le sliding. Venice Beach a sa propre Roller Skate Dance Plaza extérieure, bordée de palmiers et remplie de smooth skaters. Atlanta, Houston et St. Louis sont également des capitales du patin à roulettes.

> Regardez « Dance in Chicago : Skating with James Brown’s Style »

Qu’apportera la nouvelle vague, voire le tsunami actuel de danse sur patins, qui se pratique sur de nouvelles musiques, autant par des quadragénaires et quinquagénaires nostalgiques que par des jeunes « influencés » ? On suit les progrès… sur Instagram et TikTok !

Portraits sur patins

Quatre adeptes de la danse sur patins nous parlent de leur passion et nous montrent quelques mouvements.

Downbeat Dan (Danielle Senecal)

C’est au cours d’un voyage à New York, il y a une vingtaine d’années, que l’agente de bord a (re)découvert le patin à roulettes. « À Central Park, j’ai vu deux danseurs qui roulaient. Ils faisaient partie d’un groupe qui s’appelle Central Park Dance Skaters, fondé dans les années 1980. Je me suis assise là pendant deux heures pour les regarder et j’ai tout de suite su que c’était pour moi », raconte Danielle.

« J’ai 57 ans, alors j’ai connu les années montréalaises de la Roulathèque, du Paladium, de Cezar Palace. Voir les gens à Central Park, ça m’a rappelé quand j’avais 20 ans. Le patin, ça rend heureux. Je trouve que c’est vraiment pour tout le monde, peu importe l’âge. »

Il y a 20 ans, les patins à roulettes n’avaient plus la cote. Danielle a dû magasiner sur eBay pour trouver sa première paire, d’occasion, qu’elle a tout de même payée 200 $. Aujourd’hui, les Riedell que portent la majorité des danseurs sur patins sérieux coûtent facilement entre 600 et 800 $.

Rapidement, le roller dance est devenu sa grande passion. Pendant un an, elle a fait l’aller-retour entre la métropole et la Grosse Pomme tous les week-ends.

Et pendant 10 ans, tous les voyages que j’ai faits étaient pour apprendre à patiner. Chaque fois que je rencontrais une nouvelle personne du milieu, c’était une occasion d’apprendre de nouvelles choses.

Danielle Senecal

« Le plus important, c’est d’être sur le beat, de fusionner avec la musique, ajoute-t-elle. Après ça, tout est possible. »

La doyenne des patineurs du parc La Fontaine aime redonner, elle aussi. « Je partage par amour. J’aime tellement ça. La minute que je vois quelqu’un avec des patins, je lui offre mon aide. Je n’ai jamais payé pour apprendre et, comme j’ai un autre travail pour vivre, je n’enseigne pas pour l’argent. »

Bien qu’elle n’hésite pas à intégrer des mouvements glanés un peu partout au fil de ses voyages, Danielle reste fidèle à l’école new-yorkaise. « Une centaine de personnes qui patinent sur le même beat, ça génère une énergie incroyable. Je le fais aussi juste pour moi, avec ma musique dans les oreilles. Je vais sortir pendant trois heures pour travailler un move. C’est ma liberté, mon exercice, mon art et ma méditation. »

Kozmic (Chloé Seyrès)

Les patins de Chloé sont une extension de sa personne ! D’abord championne du monde de slalom freestyle (pas moins de quatre fois), elle est passée des roues alignées aux « quads » pour faire du roller derby dans l’équipe de France et à Montréal. Quand son corps rudement mis à l’épreuve en a eu assez des plaquages, elle s’est mise à la danse, pour son plus grand plaisir, mais aussi celui de ses spectateurs.

Kozmic hypnotise avec son style rapide, précis, athlétique. Les gens s’arrêtent dans les parcs pour la regarder. Déjà très solide et habile sur ses patins, elle dit avoir surtout appris dans la rue.

Je n’ai jamais suivi de cours. On s’échange des tricks et on s’aide les uns les autres pour tous grandir.

Chloé Seyrès

Sur sa chaîne YouTube, Chloé présente de plus en plus de « tutoriels » depuis un an, pour permettre aux patineurs et patineuses de progresser à leur rythme et d’ajouter à leur répertoire de mouvements : shuffle, guillotine, downtown, transitions, etc. Pédagogue hors pair, elle décortique les mouvements pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Elle vient aussi de lancer son cours de groupe, le jeudi soir, au parc La Fontaine.

« Le patin, c’est la liberté, la liberté de mouvement, la liberté de créer, la liberté d’être moi, déclare celle qui gagne sa vie comme traductrice. Je suis reconnaissante d’avoir été happée par cette passion, qui m’a aidée dans toute ma construction et qui m’aide toujours à évoluer en tant que personne. »

Deluxe Rollerdaddy (Philippe Vanhalewyn)

Nous avons d’abord rencontré Philippe au parc Jarry. Son désir de transmettre sa passion à la petite bande de débutantes qui s’exerçaient sur la surface bien lisse de la patinoire de roller hockey était manifeste. Il n’était pas avare de conseils.

Depuis qu’il a lancé ses cours du mercredi soir et du dimanche après-midi, il y a un mois, il doit parfois refuser des gens, les restrictions limitant la pratique à huit personnes.

Philippe, alias Deluxe Rollerdaddy, fait de la danse sur patins depuis une vingtaine d’années. « Un jour, j’ai croisé une petite bande qui roulait au bord du canal de Lachine. Ça m’a tout de suite donné envie d’essayer. Puis j’ai rejoint la gang du parc La Fontaine, dont faisait partie Danielle, qui a ramené la danse de style new-yorkais à Montréal. »

Il n’y avait rien à l’époque sur le patin. Pas d’Instagram ni de TikTok. On se passait des vidéos. Je regardais Richard Humphrey montrer des moves, par exemple.

Philippe Vanhalewyn

Le designer graphique de métier, qui a récemment troqué son écran pour un boulot dans une maison de retraite, constate que les gens qui s’accrochent au patin ont souvent un côté excentrique. « Les gens qui passent dans le parc et voient cette liberté s’exprimer, surtout par les temps qui courent, sont forcément curieux. »

Fairy Floss (Joanie Darveau)

En 2014, Joanie a trouvé une paire de patins à roulettes dans un placard de son nouvel appartement. Comme les anciens locataires ne les ont jamais réclamés, elle s’est décidée à les essayer. Depuis, elle a fait d’innombrables voyages pour se perfectionner.

Son passé de patineuse artistique (de 6 à 16 ans) et un amour de la danse ont donné une longueur d’avance à la femme de 36 ans.

Je commençais aussi le burlesque à ce moment-là et j’ai fait mon premier numéro en patins à roulettes. Je ne savais même pas que le roller dance existait !

Joanie Darveau

« C’est Philippe [Vanhalewyn], que j’ai croisé sur l’avenue du Mont-Royal, alors que j’avais mes patins sur l’épaule, qui m’a invitée au parc La Fontaine pour rencontrer d’autres patineurs », ajoute-t-elle.

Danielle Senecal l’a alors prise sous son aile. « Je suis allée à New York, à Amsterdam, à Barcelone, à San Francisco pour suivre des cours avec Richard Humphrey. Mon prochain objectif serait de rencontrer Bill Butler, à Atlanta, qui est vraiment LA légende. Mon personnage, Fairy Floss, est vraiment axé sur les années 1950, alors j’aimerais savoir comment les gens dansaient dans ces années-là. »