Révolution tranquille et signes religieux, l’oeuf ou la poule? Recevez les alertes de dernière heure du Devoir
Avec le débat qui a émergé à la suite de la réassignation d’une enseignante de confession musulmane portant le hidjab, certains intervenants ont établi un parallèle entre l’interdiction des signes religieux chez les enseignants contenue dans la loi 21 et la mise au rancart des habits religieux de la part du clergé québécois dans les années 1960 et 1970.
Le chroniqueur Jean-François Lisée écrivait récemment en ces pages que c’est une « pression sociale colossale » qui a forcé les personnes consacrées à ranger au placard soutanes et cornettes (« Laïcité et obscurantisme », Le Devoir, 15 décembre). Françoise David et Michel Seymour lui répliquaient ensuite que c’est plutôt le concile Vatican II qui serait en cause (« De quelques affirmations au sujet de la loi 21 », Le Devoir, 22 décembre). Qu’en est-il réellement ?
Il est vrai que le costume religieux a été délaissé en masse chez les religieux catholiques dans les années 1960, non seulement au Québec, mais également partout en Occident. La tenue du dernier concile entre 1962 et 1965 peut nous laisser penser à un lien de cause à effet. Mais ce n’est pas tout à fait cela. L’historienne Kathleen Holscher a bien montré comment des pressions sociales ont conduit 23 États du sud de la frontière à légiférer sur l’interdiction des signes religieux en milieu scolaire durant les années 1940 et 1950.
Pour ceux qui promouvaient la neutralité vestimentaire dans les classes, l’enseignante devait être un modèle, une incarnation des valeurs démocratiques. Le costume porté par les religieuses catholiques œuvrant à travers le pays était considéré comme un obstacle à la diffusion de ces idéaux. Qu’a fait Rome ? Elle a permis aux sœurs d’enseigner en habits laïques.
Sécularisation mondiale
On pourrait arguer que les États-Unis constituent un cas singulier. Mais partout en Occident, un fort courant de sécularisation s’est fait sentir à cette époque. Même en France, l’antique fille aînée de l’Église, les vocations ont d’ores et déjà commencé à fléchir. C’est pour cette raison qu’en 1952, le pape Pie XII demande aux communautés religieuses féminines de simplifier leurs costumes afin de ne pas nuire au recrutement. Le 27 juin 1961, Mgr Paul-Émile Léger, archevêque de Montréal, publie pour sa part un mandement demandant aux prêtres de son diocèse de ne plus porter la soutane en ville, vu que « les mentalités et les modes de vie [se sont] à tel point modifiés durant les dernières années ».
Il serait faux de dire que le concile Vatican II n’a joué aucun rôle. Le décret Perfectae Caritatis sur l’adaptation et la rénovation de la vie religieuse, adopté le 28 octobre 1965, demande que le costume soit « approprié aux circonstances de temps et de lieux ainsi qu’aux besoins de l’apostolat ». L’année suivante, Paul VI invite toutes les communautés religieuses à travers le monde à se réunir pour des chapitres de rénovation. C’est à ce moment que la plupart de leurs membres choisissent un habit simplifié qui, pour plusieurs, fait rapidement place à un habit entièrement laïque.
Certaines communautés vont très loin, trop loin au goût de Rome, qui les rappelle à l’ordre au début des années 1970. Le haut clergé québécois — comme canadien — répond toutefois aux autorités vaticanes qu’un retour à des signes religieux plus visibles serait inopportun et risquerait de choquer une population de plus en plus diversifiée.
Mouvement personnaliste
La décision des pères conciliaires s’inscrit dans un contexte particulier. On a parlé du processus de sécularisation qui touche à cette époque l’Occident et qui s’accélère avec les nouvelles valeurs portées par la prospérité d’après-guerre. Mais au sein même de l’institution, le mouvement personnaliste, qui a eu un écho significatif au Québec, représente un courant non négligeable. Il promeut la primauté de la personne, libre de faire ses choix en adulte.
On passe donc d’une Église-institution, où l’autorité vient d’en haut, à une Église-communauté beaucoup plus horizontale dans laquelle laïcs et religieux entretiennent des relations nettement plus égalitaires. Dans cette optique, l’habit devient un élément de distinction inutile, voire néfaste. Il reste bien sûr, comme continue de l’affirmer Perfectae Caritatis, un signe de consécration. Mais ce signe ne doit plus être jeté à la face des croyants.
Pour paraphraser le sociologue Max Weber, l’Église passe d’une éthique de la conviction — on annonce le message, peu importe la disponibilité de celui qui le reçoit — à une éthique de la responsabilité — le message est adapté pour être mieux accueilli. Comme l’écrit le père Alonzo-M. Hamelin dans la revue Vie des communautés religieuses en 1965 : « Dans la vie apostolique, le témoignage a valeur prédominante ; mais pour que ce témoignage porte, il faut qu’il soit non seulement perceptible, mais encore qu’il soit accepté par ceux à qui il s’adresse. »
Sur la question de l’habit religieux (et bien d’autres), l’Église catholique s’est donc adaptée à un mouvement de sécularisation de longue haleine. Elle a répondu à des sociétés occidentales demandeuses d’une diminution de la présence du religieux dans l’espace public. Parler d’une « pression sociale colossale » exercée sur l’institution n’est pas exagéré.